Par M'barek Housni Il est des événements qui nous réconcilient avec ce qu'il y a de plus authentique et de plus noble dans l'approche de l'art plastique. C'est le cas de cette exposition consacrée à des artistes talentueux, vrais et originaux, qui furent baignés dans ce qu'il y a de sincère et de réfléchi en matière de création. Belle et louable entreprise dans le sens où elle s'est donné pour tâche de faire revivre les flammes d'un pan de l'art plastique d'Essaouira qui, certes n'est pas inconnu, mais qui mérite et même oblige à le célébrer continuellement. Car, je le répète, il s'agit de l'art en tant qu'art digne de ce nom, comme activité humaine à la hauteur de l'homme et du monde. Qu'il soit naïf ou singulier, fruit d'autodidactisme ou académique. Nulle distinction à opérer ici. Ce n'est pas la première fois que la galerie la Kasbah prend sur elle d'honorer ce devoir de mémoire envers les artistes de la ville des alizés. Le premier événement semblable date déjà de 2015. Cette fois-ci, le devoir mémoriel, a opté pour les artistes disparus. Ceux qui ont longtemps chanté les murailles de cette ville qui les a nourris doublement, par la sève vitale et par l'inspiration, qui les a hantés et les a charmés. Nombre d'entre eux ont exercé leur pratique artistique dans la souffrance et le dénuement, et certains ont payé de leur vie ce penchant exclusif pour la passion de l'art. Ils nous ont légué à la fin des chefs-d'œuvre dont on peut admirer un certain nombre dans cette exposition. Il y a d'abord le maître Boujemaa Lakdar dont on peut admirer quelques œuvres de jeunesse (peintures et sculpture dont un magnifique coffret) incroyablement révélatrices du grand magicien de l'art qu'il sera devenu plus tard. Il y a l'originale et la grande Benhila Regraguia à laquelle la galerie rend hommage en exposant deux de ses toiles les plus célèbres. Vient ensuite l'artiste Hassan Cheikh qui vient de nous quitter il n'y a pas longtemps, et dont deux grandes œuvres d'une belle qualité artistique sont exposées, et où son style personnel, cette plasticité narrative et mythique, nous paraît très bien accompli. On peut citer dans cette catégorie l'artiste Saida Beyrou. Une artiste qui possédait une main heureuse, elle qui vivait son art avec une ardeur attisée à tous les moments de sa vie vouée à la peinture et la diffusion des valeurs humaines qui lui sont inhérentes. Puis, il y a ces inoubliables précurseurs d'une individualité artistique exclusive, déferlante, et incomparable. Ceux dont les œuvres devraient être recherchées et mises à la disposition de l'art plastique marocain. Le chantre de la géométrie colorée Abderhman Ziani généreusement (et heureusement) exposé via plusieurs tableaux éloquents. Les géniaux Larbi Slith, Mohammed Khoubaich, et Mohammed Houmir qui ont longtemps peint, mais dont les œuvres demeurent introuvables sauf celles exposées ici à la galerie Kasbah. Puis, ce qui ajoute au charme d'ensemble, une œuvre de Tayeb Seddiki, deux de Ruggero Giangiacomi… et bien d'autres. Tout un parterre d'artistes qui nous font découvrir l'autre partie de l'activité plastique souirie, qui hausse le niveau de celle-ci au stade de l'expression pure, de la création personnelle, celle de l'expérience individuelle, c'est-à-dire autrement valorisante et en connexion parfaite avec l'art qui se conçoit de par le monde. On retrouve le figuratif maîtrisé, l'abstrait signifiant, le brut foisonnant, le sens des couleurs et l'invention des formes, l'approche des exercices de lumière. De même, on retrouve le cité mogadorienne en arrière-plan : ses murailles, ses gnaouas, ses zaouias, ses haïks, son dédale de ruelles, sa spécificité multiculturelle et multiconfessionnelle, Essaouira de toutes les ouvertures possibles et de tous les secrets attirants. Cette exposition nous fait la découverte de l'unique extrait du multiple. On y sent monter une réelle émotion. Dans une galerie qui contient un très grand nombre de collections artistiques de grande facture en tous genres, et qui respire une efficacité d'organisation et un tact dans la présentation qui force le respect. Légende : Galerie la Kasbah, Essaouira, jusqu'au 24 Janvier 2021.