«La seule chose qui doit nous faire peur est la peur elle-même» Franklin Roosevelt Les enchères sont ouvertes et la foire aux suppositions et autres hypothèses bat son plein. La guerre contre le virus se décline désormais en termes du scénario du jour d'après. A l'instar des bulletins périodiques de la météorologie nationale, nous sommes abreuvés chaque jour d'une autre variante de bulletins, cette fois sur les prévisions politiques de l'après Corona. Ici et là on se prononce sur les conséquences socio-économiques et autres de la pandémie en cours. D'innombrables contributions qui vont du Tweet à l'article de fond et à l'essai d'analyse offrent leur vision du lendemain du déconfinement. Le ton a été donné déjà par le président français qui déclarait dès le 16 mars «le jour d'après, ne sera pas un retour au jour d'avant». Le sens de la formule comme hypothèse de programme! Face à cette inflation de discours, il est utile de confronter mémoire et histoire. Au lendemain du désastre de Waterloo, juin 1815, signant la défaite de Napoléon, Victor Hugo décrivait dans de beaux passages de son monumental Les Misérables, l'ambiance qui a suivi en Europe, avec le retour en force du camp conservateur porté par ce qu'on avait appelé la restauration : «les vieilles réalités malsaines et vénéneuses se couvrirent d'apparences neuves». C'est pour dire qu'on en vu d'autres. Pas très loin dans l'histoire, récemment encore, en 2008, le système économique dominant était secoué par une de ses crises les plus structurelles. Le fruit était mûr, le capitalisme allait vers sa chute finale. Or, non seulement le système capitaliste n'a nullement été aboli, ni remplacé, mais politiquement et dans le monde entier, ce sont les populistes de droite qui ont eu le vent en poupe. Comme au lendemain de Waterloo : la restauration! Quel scénario pour demain, alors ? Les diagnostics divergent nettement : quand certains prônent des ajustements marginaux, d'autres appellent à revoir en profondeur notre modèle de développement. Nous plaidons pour un scénario de rupture qui place le modèle de développement souhaité dans le cadre d'un projet de société alternatif. L'actuel modèle a montré ses limites, la plus haute autorité du pays a signalé solennellement sa faillite. La pandémie et la crise qui lui est concomitante a montré ses limites à l'échelle planétaire. Cependant on ne peut pas imaginer un modèle de développement en faisant abstraction du modèle politique qui l'encadre et lui assure une légitimité. Le nouveau modèle de développement ce n'est pas un programme électoral, ni un catalogue de mesures. Deux choix cruciaux s'imposent : un modèle social qui place l'humain comme finalité fondamentale et une société de discipline, auto-organisée. Autrement dit, il faut réactiver et dynamiser ce que Bourdieu avait appelé la main gauche de l'Etat, celle qui gère les secteurs qui ce sont révélés cruciaux : la santé, l'éducation, le logement. Il s'agit aussi de régénérer le lien social, le civisme. Les médias ont rapporté des images qui frisent l'absurde montrant des agents de l'autorité publique obligés à courir derrière des gens pour leur imposer le confinement ! La conscience et la discipline populaires sont des leviers essentiels dans toute mobilisation civile, aujourd'hui pour contrer le virus et demain pour réussir le redémarrage du pays. .La période à venir est lourde de risques surtout si l'on vit le confinement en mode «pause» de l'intelligence, comme une léthargie du corps et de l'esprit. Au contraire, il faut transformer ce temps suspendu en une résurgence de la force de l'intelligence et de la vitalité de l'imagination. Transformer l'incertitude qui plane en une nouvelle opportunité, pour rêver à de larges horizons. Il n'y a pas de vie sociale sans rêve, sans idéal.