L'apnée dure et se fait longue. On retient son souffle et on fantasme sa bouffée d'oxygène salutaire dans l'attente de la libération prochaine. Bienvenue à Virusland. L'homme a refoulé les évidences dans une course effrénée pour le pouvoir sous toutes ses formes, croissance oblige. Il a démarré par des découvertes, mais, de découverte en découverte, l'homme s'est lassé de découvrir l'existant. L'invention a pris le dessus. Quoi de plus édifiant que de créer ce qui n'existe pas ? L'invention technologique a permis d'accéder à la médecine, à des produits alimentaires variés hors saisons, aux nouvelles technologies qui nous rendent la vie plus simple, dit-on. Un lave-linge, un lave-vaisselle, des fours, un chauffage central ou la climatisation… un réel gain de temps. Sans oublier les moyens de déplacement, de plus en plus vite et de plus en plus loin. Gagner du temps, toujours plus de temps. Mais cette course contre le temps nous noie déjà depuis longtemps. Le temps est cette entité immaitrisable que l'homme s'ingénue à contrôler et qui le rattrape indéfiniment. On réalise alors que l'Homme est devenu l'esclave de ses inventions. Quoi de plus parlant qu'un Covid portant le numéro de série 19, tout droit sorti d'un laboratoire humain en recherche d'innovation et de création. Jouer à Dieu peut nous mener droit à la faillite et partant à la fin. C'est là, un revers de la nature cynique et un retour du temps en maître, car aujourd'hui, tapis, cachés, emmurés, nous avons le temps. Et le temps s'allonge. Il perdure. Il contrôle nos émotions. Il régit nos humeurs. Il s'approprie nos compulsions. Il nous donne l'apparence de réels dinosaures en espoir de survie. Il est évident que pour l'entité invisible, qui est ce virus, si insignifiant dans sa nano-apparence, nous sommes des géants destructeurs, mais puisqu'étant une invention de l'Homme, le Covid est à la pointe de la technologie et connaît notre talon d'Achille. Il nous asphyxie. Il nous étrangle. Il nous noie avec subtilité puisque nous en sommes les propres acteurs. Nous assistons, dans un sens, au suicide d'une société mutante et si souriante qui est plongée dans l‘attente réelle d'un après virus foisonnant de vie et de plaisirs retrouvés. Quelle dissonance ! L'homme moderne fusionne la réalité dans une virtualité acquise et fantasmagorique. Mais il vit une réalité plastique, chirurgie esthétique oblige, dans un total clivage des réalités et de déni des faits. L'humanité ricane de son sort et les leaders politiques, surfaits de narcissisme et d'intolérance à l'échec devant une entité invisible, une entité sans intelligence aucune, mais qui inexorablement nous ramène vers notre animalité première, ne savent plus comment gérer leur silence si parlant. Avec le temps et la nature, les deux en couple maître contemplant nos incertitudes, nos peurs et nos prénotions en agonie, nous allons nous découvrir un autre visage, d'autres failles, d'autres troubles si profonds. Avec de la chance, nous allons, peut-être, retrouver l'animalité première d'un Homme en oubli de sa condition innée. Un Homme dans l'attente d'un retour fulgurant mais pas imprévu. L'éternel retour se matérialise et l'Homme dans cette guerre sans interfaces, cette guerre ou l'ennemi étant invisible, l'Homme devient le miroir de lui-même. Il revient à sa condition d'animal. Sa nature reptilienne oblige, il stocke dans son terrier, nourriture et papier toilette -seul indice subsistant du progrès d'une époque, déjà révolue- en attendant de sortir de sa grotte. Mais l'animalité ne s'arrête pas là. L'angoisse croit. Et la compulsion surcroit. Quoi de plus apaisant qu'un plaisir servi par soi et pour soi. L'autre est dangereux. Il est mieux vécu derrière son écran de téléphone ou d'ordinateur. L'autre est contaminant. Il est mieux apprécié par des «like» en folie et quelques images suggestives. L'autre n'est plus nécessaire puisque vécu comme vecteur de maladie et d'asphyxie. Nous sommes, du coup, tous des noyés en sursis dans l'attente d'un miracle qui n'est pas entre les mains de l'Homme puisqu'il est le générateur de sa propre noyade, ni de Dieu puisque le virus n'est guère l'œuvre du divin. L'homme a supplanté la nature et a créé sa propre mort. Ce bon vieux libre-arbitre existentialiste vient souligner le fantasme ordalique de l'Homme qui se réalise en son propre Dieu. Mais y a-t-il une once de divinité en lui ? Là est tout le paradoxe. Là est l'inévitable aberration. *Psychiatre, addictologue et sexologue