Sous le toit de son stand de fortune la protégeant d'un soleil suffocant, Saadia s'assied sur une chaise en plastique derrière un assortiment de galettes et de crêpes qui reflètent l'essence d'expérience magnifiée au fil des années. D'un œil expérimenté, cette veuve quinquagénaire soupèse l'intérêt des badauds quant à ses produits, attirant l'attention des uns et tentant de persuader des autres. Cette routine a ponctué la vie de Saadia pendant les deux dernières décennies, durant lesquelles elle a gagné en persévérance et appris à s'adapter aux aléas de la vie, tout en se faisant des clients réguliers. Avec ses collègues vendeuses, Saadia s'est également formée une petite famille dont les membres partagent un parcours quasi-similaire jonché d'épreuves et d'adversités. Saadia est un prototype de ces milliers de veuves qui refusent de vivre aux crochets de leurs proches ou de bienfaiteurs étrangers, et ont choisi de retrousser leurs manches pour se garantir, par leurs propres efforts, des moyens de subsistance qui préserve aussi leur amour-propre. Sa passion pour la préparation des crêpes et des galettes marocaines, Saadia l'avait développée depuis son jeune âge, et voilà qu'elle est devenue son gagne-pain en ses jours de difficultés, confie-t-elle à la MAP. C'est ainsi qu'elle conseille vivement aux jeunes d'apprendre, parallèlement à leurs études, des métiers qui pourraient leur ouvrir de nouveaux horizons et leur permettre des revenus supplémentaires. Saadia, qui n'a pas eu la chance de terminer ses études secondaires, se remémore son mariage, un jour d'été de 1985, d'un jeune commerçant. Fruit de cette belle alliance, les deux enfants (un garçon et une fille) de cette mère militante ont, chacun, fait leur vie loin du foyer familial. Et si sa séparation de ses enfants la dépite tout naturellement, c'est avec beaucoup de bonheur qu'elle leur souhaite succès dans leurs nouvelles vies. Interrogée sur l'apport lucratif de son activité, Saadia répond avec un large sourire qui résume sa satisfaction d'un revenu continu, quoique maigre et irrégulier. « C'est un revenu qui fluctue au gré des appétits, mais la « baraka » de Dieu est toujours présente », se décide-t-elle finalement de dire. L'histoire de Saadia n'est pas unique. Elle se croise, dans certaines de ses facettes, avec celle de Daouia. Un chapelet entre le pouce et l'index comme pour chasser les mauvais esprits et inviter la bonne chance, cette femme âgée a fait du coin de l'un des grands quartiers de la capitale l'espace d'étalage des vêtements usagers qu'elle propose à des prix dérisoires. Mère de deux filles et d'un garçon, Daouia, qui vit dans un appartement laissé par son défunt mari, décédé au début des années 2000, dit qu'à travers cette activité elle obtient le meilleur des deux mondes: « gagner quelques sous pour faire face à la cherté de la vie, et combler le vide ». Ayant débuté sa « carrière » en tant que domestique, Daouia a dû changer de métier après que sa santé a commencé à la trahir, optant pour une activité physiquement peu exigeante, mais qui lui permet de confronter, tant bien que mal, les exigences d'une vie toujours plus coûteuse. Dans les environs de Rabat, des femmes ont trouvé soutien dans les produits animaliers et laitiers. C'est le cas de Khaddouj qui guette les souks et marchés hebdomadaires de la capitale, vendant oeufs, lait et lait fermenté, selon les disponibilités, quand elle ne fait pas de la porte à porte chez des clients réguliers. Plutôt circonspecte, Khaddouj se veut néanmoins généreuse par son sourire. Son analphabétisme ne lui ôte nullement son sens de la sagesse qu'elle a cumulé au fil du temps. Pratiquant une activité qui dépend de la clémence du ciel, Khaddouj s'en tient à appeler le Bon Dieu de combler ses serviteurs de Ses bienfaits et de faire tomber les pluies salvatrices tant attendues, à un moment où la sécheresse a desséché les terres et durci les esprits.