Entretien avec Myriam Bakir, réalisatrice de documentaire «Mères» Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef On se souvenait de son premier long métrage «Agadir–Bombay», sorti en 2011, abordant la question de la prostitution dans le Sud-marocain. En effet, Myriam Bakir, cinéaste et réalisatrice franco-marocaine, vient de renouer cette fois-ci le lien avec le public avec un documentaire mettant un éclairage sur les mères célibataires. «Mères», tel est le titre de ce film de 62 minutes, tourné à la ville d'Agadir, ayant été présenté pour la première fois, jeudi 5 mars, dans le cadre de la compétition du long métrage documentaire du 21e FNF de Tanger. En outre, c'est à travers les yeux de Mahjouba Edbouche, fondatrice de l'association Oum Al Banine à Agadir et militante de la première heure des droits des mères célibataires, que le public a découvert de près la souffrance et les difficultés sociales, juridiques et psychologiques auxquelles font face ses femmes. Entretien. Al Bayane: Votre film est émouvant voire puissant qui traite la question des mères célibataires. Être-il facile d'être femme voire mère célibataire au Maroc d'après cette expérience à la fois difficile et complexe? Myriam Bakir : Je crois qu'il est difficile d'être femme partout dans le monde et non seulement au Maroc! Moi, j'ai un pied en France et un autre au Maroc. Et les souffrances je les entends partout… La différence, c'est que dans le cas des mères célibataires, elles risquent la prison à cause du cadre juridique. Bien évidement toutes les mères célibataires au Maroc ne sont pas en prison, mais il y a cette pression de la société. Néanmoins, je pense qu'il est encore aujourd'hui difficile d'être une femme partout. J'en connais des femmes en souffrance en France. Mais en même temps, la société avance, les hommes avancent aussi dans leurs réflexions. J'ai tenu à ce que le film soit présenté dans le cadre du festival national du film dans sa version intégrale sans que rien ne soit retiré, chose qui a été faite. Ceci dit que les choses avancent. La projection du film coïncide plus au moins avec le 8 mars. C'est une occasion idoine pour sensibiliser les gens et les mordus du 7ème art à la question des mères célibataires qui occupe ces derniers temps une place prépondérante dans les débats publics ? Le message est clair, il est dans le film. En effet, je ne comprends pas cet article 490 du code pénal que j'ai mis au début du film et la réalité que vivent ces femmes. C'est une chose que je n'arrive pas à comprendre! C'est une bonne chose que le film soit projeté trois avant le 8 mars et dans le cadre du FNF de Tanger. J'espère que cette question soit connue parce que je ne suis pas la seule à parler de ce problème. Ce film, c'est d'abord cette femme, Mahjouba Edbouche qui a mené un combat de 30 ans pour la défense des droits des mères célibataires, et elle arrive avec le dialogue à résoudre des problèmes. Certes, le dialogue est très important mais il y a aussi une urgence face à cette détresse. En regardant le film, nous avons senti ce besoin de communication, de dialogue mais aussi et surtout cette envie de parler, de révéler, d'extérioriser des choses, des tabous par des femmes auxquelles vous avez donné la parole. Effectivement, c'est toute une question de dialogue. J'essaie de m'en servir pour d'autres. L'idée c'était en fait d'entendre une parole que nous n'entendons pas. Il y avait aussi le long métrage de la réalisatrice Maryam Touzani qui a été projeté le même jour que votre film et qui s'intéresse aussi à la question des mères célibataires. A votre avis, pourquoi cet intérêt aujourd'hui à ce sujet? Les mères célibataires ce sont des femmes qui ont eu des relations sexuelles hors mariage. Mais avant d'être mères, ce sont d'abord des femmes, des jeunes femmes. Au départ d'une relation avec un homme, les mères célibataires sont comme toutes les femmes, comme tout le monde. Donc je ne vois pas la différence entre elles et moi. En parlant des mères célibataires, je parle de moi et des mes peurs mais aussi des lois. Je suis comme elles, mais face à la loi, j'ai peur aussi. Dans le documentaire, il y a des mères célibataires dans un état fragile dominé par la peur, mais, en contrepartie, il y a présidente de l'association Mahjouba Edbouche qui est une femme forte qui est au devant de la scène affrontant les entraves avec beaucoup d'audace dans une société dominée non seulement par les hommes mais aussi par ses rapports sociaux et ses lois. Est-il un hommage à ce personnage? C'est vrai parce qu'elle mérite d'être entendue, et parce qu'elle connait son sujet, elle connait la nature humaine, elle connait ces femmes et les hommes aussi. D'ailleurs elle en parle très bien dans le film. Elle dit : «Moi, aujourd'hui les hommes, je ne peux pas dire du mal d'eux ». En fait c'est une chose qui m'a beaucoup intéressé, surtout donner la parole à quelqu'un qui connait très bien le sujet et qui en parle avec beaucoup d'amour. Quel message adressez-vous peut être aux femmes et aux hommes marocains à l'occasion du 8 mars? J'ai fait un film. Et tout le message y est dans ce travail. Le 8 mars est très important pour les hommes qui n'ont pas de petites attentions envers les femmes ; un petit sourire, une fleur. La reconnaissance est très importante aussi au moins ce jour-là. Heureusement que cette journée existe d'abord et qu'elle met les lumières sur les problèmes des femmes. En revanche, la lutte doit être au quotidien. Pensez-vous qu'il reste encore un chemin parcourir en matière des lois? J'espère encore une fois que ça va changer parce que le film démarre avec l'article490. J'espère que cette loi obsolète disparaisse. J'espère aussi que nos législateurs auront la sagesse de la retirer.