Réalisatrice, scénariste et actrice libanaise, Nadine Labaki a remporté lors du Festival de Cannes 2018, le prix du jury pour son dernier film «Capharnaüm» dont la sortie nationale au Maroc a eu lieu le Mercredi 12 décembre dans toutes les salles de cinéma. L‘histoire du film, qui a été saluée par le public et par la critique, lui a valu une nomination aux Golden Globes. L'actrice était présente au 17e Festival International du Film de Marrakech (FIFM) pour présenter en avant-première «Capharnaüm» au public marocain. Nadine Labaki a beaucoup fait parler de son film durant cette projection. Ce film qui a séduit l'audience retrace l'incroyable parcours d'un enfant qui s'appelle Zain en quête d'identité et qui se rebelle contre la vie qu'on cherche à lui imposer. Nous avons rencontré Nadine Labaki dans les coulisses du FIFM. Al Bayane : Pourquoi avoir choisi de tourner «Capharnaüm» avec des amateurs ? Nadine Labaki : C'était très important pour moi de travailler avec des gens qui ont vécu la même histoire que celle que raconte le film. Car « Capharnaüm » n'est pas une illusion, c'est une réalité. J'avais besoin d'acteurs qui connaissent la souffrance dont parle le film. Je trouvais très difficile d'apprendre à un enfant «acteur» ce que sont l'abus et la maltraitance. Je crois que le cinéma peut avoir un impact beaucoup plus fort, lorsqu'on sait que cette personne dans le film a réellement vécu cette même situation. Zain n'est pas un simple acteur aujourd'hui, c'est un personnage qui porte le même combat dans la vie. Et j'estime que cela peut initier une action. Comment avez-vous repéré vos acteurs ? Mon équipe et moi avons repéré les acteurs de ce film à travers un casting sauvage (un casting dans la rue). Nous sommes partis dans les régions les plus difficiles du Liban, les plus défavorisées surtout. Nous avons fait beaucoup d'interviews avec les enfants, notamment les parents de ces enfants aussi, c'est comme ça que nous avons trouvé tous nos acteurs. Parlez-nous des difficultés que vous avez rencontrées lors de votre tournage? C'est un tournage qui nous a pris presque six mois. Nous savions pertinemment qu'il nous fallait du temps pour pouvoir tirer de ces acteurs, qui n'ont jamais joué devant des caméras, les performances que nous voyons aujourd'hui à l'écran. Il fallait avant tout, créer une relation de confiance très solide pour pouvoir leur permettre de s'exprimer comme ils en ont envie. Il fallait aussi que l'on s'adapte à leur rythme et leurs personnalités. C'était très dur. Nous avons tourné dans des conditions très difficiles, car nous avons majoritairement tourné le film dans leurs vraies maisons, dans les vrais bidonvilles que je nomme «ceinture de misère» qui entoure nos villes. On a aussi tourné dans de vraies prisons, avec de vrais prisonniers. En effet, personne n'est vrai acteur dans le film, chaque personnage raconte sa vraie vie et sa pénible vérité. Qu'en est-il du scénario du film ? Nous avions un scénario très solide, car nous ne pouvions pas improviser si nous n'avions pas une base très puissante, afin de pouvoir, en cours de route, se permettre d'improviser ou de voir ce que la vie pouvait nous offrir comme moment de réalité. Il était très important aussi, de ne pas imposer une certaine vérité que nous avions imaginée par rapport à la vie de ces gens. Il fallait aussi puiser dans leurs propres vérités et les inviter à collaborer. En effet, nous nous sommes adaptés à leur réalité, au lieu de les adapter à notre fiction. Finalement, ils ont beaucoup collaboré à faire véhiculer le message que je souhaite véhiculer à travers ce film. Vous abordez souvent des sujets dramatiques dans vos films. Pourquoi ? Le vécu des gens m'inspire beaucoup, et dans le vécu des gens, il y'a beaucoup de drame malheureusement. Il est peut être naïf de ma part de croire que les films peuvent changer quelque chose, mais j'aimerais croire en cela. Et même s'ils ne vont pas changer les choses, j'aimerais au moins qu'ils puissent ouvrir le débat. C'est le cas pour «Capharnaüm», dont l'enfance grandira avec une colère immense et que cela se retournera contre toute la société. A ce moment là, ce sera trop tard de faire quelque chose, car le mal aura déjà été fait. J'aimerais, tant que cela est encore possible, d'ouvrir une porte afin de pouvoir trouver des moyens pour sauver ce qui reste à sauver. Nous voyons de moins en moins Nadine Labaki, l'actrice. Même dans «Capharnaüm», votre rôle n'était pas très grand. Vous vous éclipsez petit à petit ? Je tiens à souligner que j'ai enlevé plusieurs séquences de mon rôle dans ce film. Au moment du montage, j'ai aperçu que j'étais le seul mensonge de ce film. Je ne suis pas avocate dans la vraie vie, il est vrai que je défends toutes les causes de « Capharnaüm » dans ma vie de tous les jours, mais je ne suis pas avocate. Pendant que tous mes personnages racontaient leurs propres combats, je trouvais que mon rôle n'était pas d'un grand impact. Croyez-vous que le cinéma peut rendre justice dans le monde ? Je crois profondément au pouvoir du cinéma et au pouvoir de l'art en général. «Capharnaüm» est produit par votre mari, pourquoi ne pas avoir choisi une maison de production ? Cherchiez-vous de la liberté ? Je cherchais surtout de l'indépendance. Je savais pertinemment ce que je voulais comme rendu. Et à vrai dire, la liberté que je cherchais, aucune maison de production ne pouvait me la procurer. Pour travailler avec une maison de production, il faut nécessairement suivre une certaine gestion. Après cette expérience de «Capharnaüm», je crois que je ne pourrai plus revenir à un système de tournage plus régi et plus structuré, car la liberté qu'on a pu créer était incroyablement riche. Dans le film, personne n'est vrai acteur, chaque personnage raconte sa vraie vie et sa pénible»