La «neutralité du Net», symbole d'égalité est désormais considéré par la Commission fédérale des communications comme un frein à l'investissement. Les fournisseurs d'accès assurent que le fonctionnement d'Internet ne changera pas mais pour les jeunes entreprises technologiques, qui n'ont pas les ressources de Google ou de Facebook, la nouvelle directive est «une barrière à l'innovation et à la concurrence». De l'avis de la Commission fédérale des communications (FCC), le principe de « neutralité du net » constitue un frein à l'investissement. L'institution américaine a donc décidé, jeudi 14 décembre dernier, d'abroger ce principe. Des millions de voix s'y sont opposées, dénonçant une décision qui résultera d'un «internet à deux vitesses». Pour bien comprendre la gravité de cette décision, il suffirait de jeter un coup d'œil sur cette petite définition : la neutralité du Net ou du réseau est un principe devant garantir «l'égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet». Ce principe exclut, par exemple toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de l'information transmise sur le réseau. Au début fut le monopole d'AT&T, à la fin le dictatdu capital Conformément à cette récente décision de la FCC, les fournisseurs d'accès à Internet ne seront plus obligés de traiter les contenus de manière égalitaire. Une décision qui va affecter les plus pauvres ou les petits entrepreneurs, avec des abonnements plus chers pour un débit plus rapide ou le blocage de certains services concurrents, dans la vidéo à la demande, la téléphonie par internet ou les moteurs de recherche. Mais pour la FCC, les règles actuelles assimilent les opérateurs de télécommunications à des services publics et empêchent les investissements dans de nouveaux services qui ont besoin du haut-débit, comme les vidéo-conférences, la télémédecine et les véhicules connectés. Les prémisses d'un débat âpre se profilent à l'échelle mondiale. Le professeur de droit Tim Wu, à qui l'on doit le terme de «neutralité du net», était l'un des premiers à s'exprimer. Selon lui, le principe général date des années 1970, lorsque les régulateurs ont cherché à empêcher AT&T, qui possédait alors le monopole des télécommunications, de perturber l'essor des nouvelles sociétés de téléphonie. Au début des années 2000, des tentatives de régulation s'étendant au monde de l'Internet naissant ont échoué, plusieurs décisions de justice refusant d'assimiler les FAI à des « entreprises de télécommunications ».Ce n'est qu'en 2015 sous Barack Obama que la FCC a pu assimiler ces fournisseurs d'accès à internet à haut-débit à des entreprises de télécommunications, mais en utilisant une loi remontant à… 1934. AjitPai, nommé à la tête de la FCC par le président Donald Trump, affirme que les régulations actuelles trop strictes découragent les investissements dans le haut-débit. Il plaide pour le retour à une « approche réglementaire légère » revenant à la situation des années 2000 qui a permis à l'Internet de s'épanouir. Cette décision «ne va pas tuer la démocratie», a assuré M. Pai. La démocratie d'Internet touchera-t-elle à sa fin? Mais pour les défenseurs des droits numériques, c'est la fin de l'Internet dans sa forme actuelle. Les grands opérateurs mondiaux, dont AT&T, Comcast et Verizon, assurent que le fonctionnement d'Internet ne changera pas et qu'ils auront les mains libres pour investir dans de nouvelles technologies. «Il y aurait beaucoup de résistance» en cas de blocage de contenus, estimait la Fondation des technologies de l'Information et de l'Innovation, un centre de réflexion basé à Washington. Elle cite la «pression sociale», alors que 83% des Américains sont opposés à un changement de statut, selon un récent sondage, et la possibilité d'enquête des autorités anti-monopole qui pourraient aboutir au retour d'une neutralité stricte après un nouveau changement d'administration. Mais les défenseurs de la neutralité craignent qu'une différenciation imposée par les opérateurs n'entraîne une hausse des coûts des gros utilisateurs de données, comme Netflix ou d'autres services de vidéo en continu. Cette hausse serait ensuite compensée par une augmentation des abonnements des clients. Pour les jeunes entreprises technologiques, qui n'ont pas les ressources de Google ou de Facebook, la nouvelle directive est «une barrière à l'innovation et à la concurrence», estime Ferras Vinh, du Centre pour la démocratie et la technologie, qui défend la neutralité. «C'est un combat pour que la prochaine génération de jeunes pousses ait un espace pour innover et diffuser de nouvelles idées». La FCC promet la «transparence» et assure que les plaintes seront traitées par une autre agence, la Commission fédérale de la concurrence (FTC), spécialisée dans la protection des consommateurs et les règles anti-monopole. Ses opposants assurent cependant que la FTC n'a pas d'autorité légale pour gérer certains dossiers. La nouvelle directive pourrait aussi être attaquée en justice.De nombreux pays basent leurs législations Internet sur le modèle américain. L'Union européenne a voté des directives mais chaque Etat-membre a sa propre régulation. La situation américaine est unique car ce sont des opérateurs privés qui créent et investissent dans leurs propres réseaux, alors qu'ailleurs, les infrastructures appartenant à un actuel ou ancien monopole sont partagées. Cela va pousser les opérateurs à explorer de nouvelles voies pour être compétitifs dans un secteur où les coûts fixes sont élevés. Iliasse El Mesnaoui
Facebook, ou le dictat des annonceurs Simultanément avec la décision du FCC d'abroger la «neutralité du Net», Facebook continue sur sa lancée de privilégier le contenu sponsorisé. Vous l'aurez remarqué, l'actualité de vos amis peine à atterrir sur votre mur. A sa place, un flux de contenu sponsorisé, de posts les plus vus et d'actualité de pages auxquelles vous n'aurez probablement pas souscrit. La priorité est aux publications qui ont ramassé le plus de «like», et ce n'est pas prêt de s'arrêter. Le réseau social a annoncé jeudi 14 décembre qu'il va «diffuser plus largement des vidéos sur les pages de ses utilisateurs et commencer à tester les spots publicitaires automatiques avant certaines d'entre elles», dans le but d'attirer davantage d'annonceurs et de revenus publicitaires. Dorénavant, «nous montrerons davantage de vidéos dans le fil d'actualités», en fonction des vidéos recherchées par les utilisateurs ou provenant d'éditeurs ou de créateurs qu'ils affectionnent, indique sur son blog officiel le réseau social américain, qui revendique plus de deux milliards d'utilisateurs. De plus, à partir de 2018, poursuit le groupe, «nous commencerons à tester des spots publicitaires automatiques» avant les vidéos sur la nouvelle plateforme dédiée au visionnage de vidéos, appelée Watch, qui propose des contenus, en direct ou en différé, originaux pour certains, pour l'instant disponible seulement aux Etats-Unis. Ces spots publicitaires s'activant automatiquement sont fréquents sur la plateforme YouTube, par exemple. Ces annonces illustrent la volonté de Facebook de miser de plus en plus sur la vidéo qui devrait, selon son patron Mark Zuckerberg, être dominante sur le réseau d'ici quelques années. A cours d'espace pour placer davantage de publicités sur le réseau, Facebook cherche en permanence de nouvelles idées pour maintenir ses recettes publicitaires, qui constituent la quasi-totalité de ses revenus.