Connu pour ses adaptations de textes universels tels que «Les Bonnes» de Jean Genet, La Nuit sacrée» de Tahar Ben Jelloun et bien d'autres, Bousselham Daïf puise son inspiration dans le roman. Sa dernière pièce «Koullou chaï âan abi» (Tout sur mon père), adaptée du roman de l'écrivain marocain Mohammed Berrada «loin du bruit, près du silence», a remporté le grand prix de la18e édition du festival national du théâtre de Tétouan. Il revient sur cette expérience dans cet entretien. Al Bayane : Pour cette année, vous avez travaillé sur le roman de l'écrivain Mohammed Berrada «loin du bruit, près du silence». Vous en avez fait la pièce intitulée «tout sur mon père» qui a eu de bons échos et a remporté, d'ailleurs, plusieurs prix. Parlez-nous de ce passage du roman au théâtre? Bousselham Daïf: D'après mon expérience, je pense que l'adaptation est centrale voire primordiale dans mon expérience théâtrale. Pour moi, elle joue deux rôles majeurs. Le premier repose sur l'ouverture sur le répertoire et les textes universels dans un univers proprement marocain et une terre théâtrale marocaine. Dans cette optique, j'ai travaillé sur le texte de Jean Genet. Le deuxième rôle capital de l'adaptation est lié au processus de transition du roman au théâtre. Je pense que cet exercice est très important dans la mesure où le théâtre cherche sa matière hors du texte théâtral, notamment dans le roman qui donne une nouvelle dimension et verse un nouveau sang dans ses veines. Dans l'opération d'adaptation, le dramaturge s'inscrit dans la logique du renouvellement de l'écriture théâtrale parce que chaque romancier écrit différemment des autres. Et du coup, quand on essaie d'adapter le roman au théâtre, on découvre de nouveaux matériaux et nouvelles techniques de travail. A l'Institut, je travaillais sur l'art de la théâtralisation du roman et j'avais travaillé dans ce cadre sur le roman «La Nuit sacrée» de Tahar Ben Jelloun. Ce projet m'a permis entre autres de m'ouvrir sur d'autres expériences théâtrales universelles ainsi que des écrivains et metteurs en scène reconnus mondialement. A travers cette expérience, j'ai découvert un autre imaginaire, d'autres horizons de pensée et de créativité. C'est essentiel pour un dramaturge et un metteur en scène. Dans le roman de Mohammed Berrada que vous avez adapté, on trouve des personnages ayant vécu différentes périodes de l'Histoire du Maroc, de la période coloniale au mouvement du 20 février. Etait-il facile d'incarner cette dimension spatio-temporelle sur les planches? Le travail sur le roman est toujours difficile. Celui sur le roman de Mohammed Berrada «Loin du bruit, près du silence » l'est davantage puisqu'il relate des évènements et faits ayant eu lieu avant l'Indépendance, la période du protectorat jusqu'à l'étape du 20 février. Sur le plan chronologique, il y a effectivement un processus très long et une diversité au niveau des personnages. Il faut le dire, le romancier, quand il écrivait, n'avait pas ces entraves du temps, de l'espace, des personnages... Donc, c'est moi qui ai fait face à ce défi : véhiculer tout cela sur scène et être fidèle à l'idée transmise dans le roman. Pour ce faire, j'ai fait recours à la technique de la condensation en ce qui concerne les événements, les personnages, les symboles et allusions. Ce qui est essentiel c'est de garder la dimension politique, sociale et les événements mobilisant les personnages. La pièce « Tout sur mon père » parle au public parce qu'elle aborde des questions qui n'ont pas uniquement une relation avec le passé, mais surtout avec le présent et l'avenir. C'est une pièce qui présente le passé au public. Nous n'avons pas fait une pièce historique. Mais, dans ce travail nous voyons des événements que nous avons vécus et que nous pourrons vivre dans l'avenir, d'où sa force et sa singularité. Au-delà de l'écriture dramatique, vous êtes le réalisateur de cette pièce. Comment choisissez-vous vos comédiens? Quand j'écris un texte théâtral à partir du roman, le processus de l'écriture dramatique, la réalisation et la direction des comédiens se font sur le tas. En deux mots, j'écris pour les comédiens que je connais ! J'en ai quatre. Alors, j'écris selon la sensibilité de chacun. Bref, il y a chevauchement entre l'écriture romanesque, l'écriture théâtrale, dramatique et la direction des comédiens. Comment voyez-vous l'écriture dramatique au Maroc, notamment avec l'émergence de «nouvelles sensibilités» dans le théâtre marocain? Aujourd'hui, le changement qui existe est lié au fait qu'on n'a pas d'écrivain au sens classique. Actuellement, nous pourrons parler d'une écriture qui se fait sur les planches, sur scène. Il y a des expériences qui disent que le texte n'est pas important. Du coup, le théâtre doit garder cette éloquence de la parole, du sens et de la signification. Dans ce cadre, je pense organiser une rencontre pour présenter les expériences d'écritures théâtrales anciennes et modernes.