Dans leurs travaux de terrain sur l'immigration en Espagne, chercheurs et universitaires espagnols partent de l'évidence selon laquelle la présence de l'immigration féminine marocaine, est la plus ancienne de tous les collectifs d'étrangers. Les immigrées marocaines sont aussi celles qui suscitent le plus d'intérêt dans l'espace public eu égard à leur style de vie, à leur façon de s'habiller et à leurs usages et croyances. L'histoire partagée, la proximité géographique et les impératifs du voisinage sont, en dépit des éternelles frictions, déterminants dans la création d'un flux d'échanges humains permanents entre le Maroc et l'Espagne. Les contacts directs entre les deux peuples depuis le protectorat espagnol sur le nord du Maroc (1912-1956), ont été accompagnés de la progressive incorporation des marocains dans la société espagnole. Les éphémérides historiques retiennent surtout l'enrôlement des marocains dans l'armée espagnole durant la guerre du Rif (1919-1927) et la guerre civile d'Espagne (1936-39) mais aussi l'engagement de la main d'œuvre féminine marocaine dans certaines activités aussi bien dans la zone occupée au Nord du Maroc que dans la péninsule ibérique. Une abondante littérature a décrit, le long des 42 ans de protectorat espagnol, la situation de la femme marocaine comme un élément à la fois de fascination et de curiosité. Néanmoins, la majeure partie des écrits littéraires n'avaient pas transcendé l'aspect folklorique et pittoresque se limitant à exalter le sentiment patriotique de l'entreprise coloniale sans se préoccuper de la création littéraire ou du devoir de diffuser les valeurs culturelles des autochtones. C'est est à partir des années 90 que la recherche a connu le début d'une doctrine intellectuelle et académique qui privilégie la recherche empirique en vue d'approcher l'opinion publique à un profil standard de la femme marocaine en Espagne qui sera différend de l'image stéréotypée héritée de l'époque coloniale. Cependant, il est surprenant de constater la persistance de situer le débat dans une approche de genre et de sous-évaluation du rôle que joue la femme en tant que travailleuse, éducatrice, médecin ou militante pour l'égalité des droits et opportunités dans sa société d'origine et celle d'accueil. Devant la forte représentation de l'élément féminin au sein du collectif marocain et sa croissante visibilité dans l'environnement socioprofessionnel, se sont développés des travaux de terrain dans certaines communautés autonomes (régions espagnoles) comptant une forte concentration de la main d'œuvre marocaine. Ces études font partie du nouveau courant intellectuel et académique tendant à développer une nouvelle culture basée sur les valeurs de convivialité, de tolérance et du respect de la pluralité culturelle. Elles s'inscrivent dans les politiques d'intégration promues dans les communautés autonomes à l'instigation de l'Union Européenne. Les programmes d'intégration de l'immigration, financés par les gouvernements régionaux, sont élaborés en tenant compte des résultats des travaux de chercheurs et universitaires de différents horizons. De même, la quasi-totalité des études publiées sur la femme marocaine sont des thèses de doctorant, essais publiés dans des revues académiques, rapports d'instituts universitaires ou d'opinion publique. Les premiers sérieux travaux, en cette matière, qui remontent au début des années 90, tendent à appliquer certaines théories anthropologiques et sociologiques déjà testées dans d'autres sociétés en vue de détecter les points de similitude et de différence entre la femme espagnole et la femme marocaine. En général, les chercheurs s'intéressent particulièrement dans leurs analyses aux aspects culturels d'une femme arabo-musulmane et les efforts que celle-ci déploie pour s'adapter à sa nouvelle société d‘accueil. c'est la raison pour laquelle, il existe une terminologie générique utilisée généralement dans les études réalisées dans les sociétés aux grandes expériences en politique migratoire telle la France. En vue de récupérer le retard accumulé dans ce camp, les chercheurs espagnols s'inspirent dans leur démarche aussi bien de la méthodologie que des théories appliquées aux pays qui ont développé des modèles migratoires nationaux. En général, les études demeurent très marquées par la prééminence de la loi et des normes communautaires. A partir de là, surgit l'intérêt pour certains concepts qui changent de signification concernant le phénomène migratoire dans chaque société européenne conformément à l'intensité du débat politique et au modèle migratoire adopté. Dans les milieux universitaires espagnols, le débat demeure encore ouvert devant la difficulté d'appréhender les fondements d'un modèle migratoire propre et la forte diversité qui caractérise la communauté étrangère avec une forte présence latino-américaine et maghrébine. Ces groupes sont totalement différents les uns des autres quant aux coutumes, aspects physiques et croyances idéologiques. Il existe ainsi en Espagne une variété d'approches de la question migratoire au niveau national et dans chaque communauté autonome, ce qui démontre la difficulté d'asseoir les bases définitives d'un cadre théorique général. Cette tâche s'appuie sur l'apport des universitaires qui tentent d'expliquer les causes de l'arrivée de la femme marocaine, les conditions dans lesquelles se déroule son processus migratoire et celles qui facilitent son intégration sociale. Comme il s'agit d'une migration économique et volontaire, les chercheurs et universitaires espagnols s'appuient particulièrement sur une base théorique commune avec une référence multiple. Dans ce contexte, il est judicieux de citer la théorie néo-classique qui insiste sur les éléments d'ordre salarial, social et le coût de transport ; la théorie de la nouvelle économie de la migration qui analyse le projet migratoire comme un engagement à l'égard de la famille ; la théorie de l'économie dualiste qui situe le phénomène migratoire dans l'équation centre - périphérie ; la théorie de la reproduction qui permet le soutien de la famille à bas coût à travers le regroupement familial ou le transfert de devises ; la théorie de systèmes mondiaux qui explique la présence des marocaines en Espagne comme une conséquence du cycle d'opulence que traverse l'Espagne depuis son adhésion à l'Union Européenne, en 1986.