De Tunis au Caire, en passant par Ramallah, la mobilisation est à son comble au sein de la chaîne qatarie Al Jazeera. Les images en boucle à la CNN et les « breaking news » font l'essentiel du menu offert au téléspectateur arabe qui se surprend en train de faire sa petite révolution virtuelle dans des salons lambrissés. Al Jazeera est quelque part en plein dans son métier de chaîne d'information en continu. Elle nous gratifie par ailleurs d'analyses et de points de vue de spécialistes et de pseudo experts qui n'hésitent pas à distribuer des jugements de valeur sur un soulèvement populaire survenu dans un pays qui se situe au cœur de toutes les dynamiques et les équations géopolitiques du monde arabe. Ce qui est gênant et à la limite condamnable du point de vue de l'éthique journalistique est ce mélange de genre auquel se livre le top management et les journalistes de cette chaîne aux gros moyens émettant d'un pays fort seulement de 300 mille habitants. Accompagnant les news en direct avec des images croustillantes et macabres, comme celles montrant des cadavres dans une morgue du Caire, la chaîne satellitaire pousse l'horreur à son comble en programmant des émissions de débat telle «AL ITTIJAH AL MOUAKISS» de Sir Fayçal Al Qassim, qui croit que ses prouesses verbales et ses joutes oratoires primaires viennent soutenir, à flux tendus, l'élan révolutionnaire de la rue égyptienne. Il faut bien croire que rien ne satisfera nos collègues d'Al Jazeera sauf la tête du Raïs Housni Moubarak. A aucun moment, au niveau de cette chaîne, on vous donne le répit nécessaire afin de se faire sa propre opinion des événements. Et ce qui aggrave la situation est que Al Jazeera, de par son style propagandiste, a su créer une clientèle captive quasi amorphe. Les autorités égyptiennes ont fini, durant le week-end, de donner l'ordre de fermer les bureaux de cette chaîne en Egypte et retirer les accréditations de tous ses correspondants. Une décision qui se justifie probablement par la volonté de fermer cette brèche qui contribuait à la surchauffe des esprits et la galvanisation des troupes. Il est remarquable aussi de constater que les responsables d'Al Jazeera sont dans un état jouissif incommensurable, en croyant dur comme fer, que c'est grâce à leur soutien médiatique que les révolutions des pauvres peuples arabes sont devenues une réalité tangible. La question se pose de savoir si ce mandat de défenseur des peuples arabes « opprimés » a été confié à la seule Al Jazeera ? C'est une question d'autant plus légitime que cette chaîne est devenue, par ses méthodes atypiques, une véritable agence de haute intelligence avec un accès direct à tous les foyers arabes. Le comble est qu'à aucun moment cet appel générique au soulèvement et à la révolte, spécialement destiné aux pays arabes, ne dit pour quel projet de société on est sensé aller. On peut également se poser la question de savoir si ce droit d'ingérence, au nom des sacro-saints droits humains, dans les affaires internes des peuples arabes que s'est arrogé Al Jazeera, est légitime ? Encore une fois le rappel des règles déontologiques et éthiques de ce noble métier qu'est la presse est salutaire. Un média, comme son nom l'indique ne peut, en aucun cas, se substituer aux acteurs. Son rôle est de rendre disponible une information avérée et la diffuser de manière équilibrée. En agissant de la sorte, Al Jazeera net devient de facto le énième parti révolutionnaire non déclaré du monde arabe.