Quatre ans après l'assaut de l'Otan contre la Libye, lequel s'est soldé par la destitution et l'assassinat de Kadhafi, la Libye demeure toujours ce qu'elle a été, depuis, un vaste champ de bataille où le chaos a étendu son emprise. Aux querelles intestines opposant partisans de l'ex-guide et leurs adversaires, ont succédé la guerre fratricide des tribus, opposant diverses factions toutes grisées par la conquête du pouvoir. Quatre ans qui n'auront servi ni à l'apaisement ni à la normalisation de la situation que disait souhaiter l'Otan par l'élimination de Kadhafi ; la Libye a plutôt sombré encore plus profondément dans l'anarchie, détruisant par là-même le peu de confiance dont jouissaient encore ses institutions. Quatre ans après, le pays est devenu aujourd'hui une proie facile, prise d'assaut par les forces de l'Etat islamique. Chekpoints de Daech et police islamique en patrouille sont devenus monnaie courante, constatent amèrement les services de renseignement occidentaux, semant détresse et désolation au sein de la population désormais prise en otage. Elle aspirait à une vie meilleure, un rêve qu'elle croyait pouvoir concrétiser par la destitution puis la mort de Kadhafi ; un espoir longtemps nourri, rêvé, caressé... d'accéder enfin à un bonheur inégalé par un partage équitable des richesses du pays et, surtout, de la manne pétrolière. Un rêve qu'elle croyait pouvoir réaliser par la disparition de celui dont on disait qu'il ne leur jetait que des miettes et que les Libyens avaient droit à une bien meilleure vie. Que diable leur a-t-il donc pris de croire que la mort de Kadhafi allait apporter plus de bonheur, de bien-être et de meilleures conditions de vie ? Quelle mouche les avait donc piqués pour qu'ils pussent ignorer que les choses n'étaient pas aussi simples ? Que n'auraient-ils fait de méditer l'exemple de l'Irak sans Saddam, devenu l'antre du diable, d'où est partie la grande hydre de Daech, violant pillant et dévorant tout sur son passage : assassinats systématiques de Yézidis et de chrétiens, viol de leurs femmes réduites à l'esclavage sexuel, vendues comme de piètres babioles sur des marchés organisés de trafic d'êtres humains. Aujourd'hui, les Libyens, déçus, désappointés, perdus, se retrouvent seuls face aux affres de la désolation, du désespoir, de l'indécision... L'horizon s'enveloppe de ténèbres impénétrables, et bien malin qui prédira une sortie de crise et une issue honorable du chaos où se sont fourrés, avec l'aide de l'Otan, les Libyens ; luttes fratricides et querelles intestines ont eu raison du peu de stabilité que connaissait le pays ; les hordes dispersées d'islamistes de tous poils mettent le territoire à feu et à sang, débordant dans tous les pays limitrophes et, envahies par Daech, emportent leur djihad jusque dans la zone sahélo-subsaharienne, menaçant la Tunisie au Maghreb et grossissant les groupes djihadistes de tous bords en Afrique subsaharienne. Les Libyens rêvaient de démocratie, de partage équitable des richesses du pays ! C'est la désolation, l'anarchie et... la misère qu'ils ont trouvées. On leur a fait miroiter l'avènement d'une vie meilleure que celle qu'ils connaissaient jusque-là et qui, justement, suscitait l'admiration et même l'envie tant des Maghrébins que des Africains ; une vie qui, selon leurs soutiens étrangers, ne dépendait que de la chute de Kadhafi, honni, vilipendé et jeté en pâture à une population enragée, en proie à l'ignorance des enjeux socioéconomiques et géopolitiques liés à la destitution de celui qu'on leur avait dépeint comme étant la source de tous leurs malheurs. Quatre ans après la mort de Kadhafi, mort que l'on souhaitait libératrice du peuple libyens, l'espoir s'envole, le pays se désole et l'Etat islamique s'installe. Les alliés, qui ont mené la guerre en Libye et conduit à la chute du guide, se rejettent la balle, s'accusant mutuellement d'être à l'origine du chaos qui y règne. « La Libye est plongée dans le chaos », déplore Obama, qui accuse les Européens, qui, selon lui, auraient été plus impliqués par leur proximité ; avant de reconnaître les erreurs de leur analyse de l'étendue des dissensions tribales ; des divisions que le président américain estime aujourd'hui « plus importantes que ce à quoi s'attendaient [leurs] analystes ». Pendant que l'Etat islamique investit tout le territoire libyen et déborde même en dehors (comme récemment à Ben Guerdane), les Libyens et, avec eux, le monde entier, s'attendent bien plus qu'à une reconnaissance mitigée des erreurs de tactique des alliés, ou à un débat stérile de savoir qui a fait quoi pour que le pays – qui cinq ans plutôt, connaissait un état de prospérité rare en Afrique – se retrouve dans le chaos et la désolation qui sont aujourd'hui les siens. Et en y songeant très bien, l'on se dit : il est toujours facile de critiquer la gestion d'un dirigeant d'Etat quelconque lorsque l'on ne comprend pas, comme lui, les véritables problèmes sociaux qui caractérisent les rapports tribaux et interethniques du peuple qui est le sien. Bref, les conseilleurs ne sont pas les payeurs.