Les mandats d'arrêt de la Cour Pénale Internationale contre Mouammar Kadhafi, son fils Saïf al Islam et son beau-frère Abdoullah al Senussi semblaient inéluctables. Ils sont en germe dans la résolution 1970 adoptée aux premiers jours de l'insurrection libyenne. Que la CPI professe le même idéal de justice que les Nations unies qui l'ont fondée est logique. Qu'elle embraye sur une résolution du Conseil de Sécurité qui a mis le régime libyen en demeure de cesser de mener la guerre à son peuple était fatal. Aussi implacable qu'une machine infernale. Un proverbe africain prétend qu'il ne faut jamais laisser un tigre affamé dans une pièce sans fenêtres. Fermer toute porte de sortie au triumvirat qui règne sur Tripoli risque de l'acculer à se battre jusqu'au bout, dos au mur. C'est un risque que la CPI refuse de calculer. En réclamant des comptes au tyran, elle se veut aveugle aux calculs cyniques, sourdes aux palabres qui se trament à Djerba, insensibles aux appels du pied de l'Union africaine. La justice se fait gloire d'avoir un bandeau sur les yeux. En l'espèce, elle risque de faire autant de victimes collatérales qu'un attentat aveugle. En excluant tout compromis, les juges virent les diplomates et ne laissent sur le champs de bataille que les militaires. Qu'elle ait été ou non inspirée par les puissances coalisées décidées à maintenir la pression sur l'ennemi, cette décision d'inculper M. Kadhafi reste une curiosité. Primo, on croyait qu'il était déjà condamné. Exécuter la sentence prenait davantage de temps que prévu car il est plus facile à un ministre de faire un discours qu'à un aviateur de faire un carton sur cible mobile. A écouter le Secrétaire général de l'Otan, on pouvait même imaginer Kadhafi condamné mais en fuite dans un pays qui s'appelle la Libye. De même, Alain Juppé répète depuis trois mois que les jours du tyran sont comptés. Vérité universelle : chaque jour qui passe nous rapproche de notre mort. Mais nul ne sait ni le jour, ni l'heure et les généraux de la coalition restent incapables de prédire combien de temps il leur faudra encore pour liquider M. Kadhafi. L'autre curiosité, c'est que la mise en accusation survient au moment où les négociations entre Libyens de Tripoli et Libyens de Benghazi se nouent en Tunisie, après avoir été initiées à Paris, en Italie et en Afrique du sud. Ces palabres se déroulent en plein jour et portent justement sur cette question centrale. Que faire du tyran, de sa smala et de ses protégés ? Comment les neutraliser en leur offrant une porte de sortie ? Comment s'en débarrasser pour mieux négocier un nouveau partage du gâteau pétrolier entre clans, entre l'est et l'Ouest, entre la vieille garde et le nouveau régime ? La décision de la Cour Pénale internationale risque d'affaiblir l'institution si elle est ignorée par les Africains qui ont offert l'asile à Kadhafi. Ou par des rebelles libyens qui voudraient juger eux-mêmes leurs anciens dirigeants. Elle ne fait en tout cas guère de différence pour l'intéressé qui n'imagine pas d'aller vivre ou mourir à l'étranger. Ni pour son beau-frère qui évite de franchir les frontières depuis qu'il a été condamné à perpétuité en France pour l'attentat contre un avion d'UTA au dessus du Ténéré. En revanche, l'avenir de Saïf Al islam s'est soudain assombri. Le dandy qui aimait la vie dorée dans les palaces ne pourra plus voyager. Sauf pour se rendre à La Haye où la CPI a réservé à son intention une cellule en pension complète.