L'arrivée de Koç holding au Maroc via la construction d'une usine d'autobus n'est sans doute qu'un début. Car depuis la crise de 2008 et après avoir mis le cap sur l'Iran et l'Irak, la stratégie du groupe consiste à diversifier au maximum ses marchés pour limiter l'impact des fluctuations économiques régionales, notamment en mettant le cap sur l'Afrique et surtout le Maroc. Nous avions l'habitude de lire ici et là que telle entreprise de BTP turque avait remporté un marché de construction d'autoroute, de pont,...ou la maîtrise d'ouvrage d'un projet immobilier d'envergure. Il y avait aussi les annonces régulières d'ouverture de franchises turques, dans le textile et l'habillement, le mobilier, ...et de plus en plus de marques ont pénétré doucement mais sûrement les foyers des marocains, entre autres grâce à la montée en puissance du hard discounter BIM. Seulement la construction d'une usine au Maroc, c'est une autre paire de manche. En tous cas, c'est ce qui a été annoncé à l'issue d'une rencontre entre une délégation turque et le ministre de l'Equipement, du transport et de la logistique durant laquelle a été confirmée l'intention de Koç holding de lancer une unité de production dans le Royaume. Si l'implantation d'Otokar, spécialiste de la construction de bus, de remorques et de véhicules militaires, filiale de koç holding a fait beaucoup de bruits, il n'en reste pas moins que la portée d'une telle opération va bien au-delà de l'investissement en lui-même. En réalité, Otokar n'est que la partie émergée de l'iceberg. D'abord, en marge de cet investissement, le turc envisage de développer un centre de Recherche et Développement. Et c'est bien là une des marques de fabrique à l'origine de son développement fulgurant. Ensuite, parce que le management aurait fait comprendre qu'OtoKar n'est qu'un premier pas de Koç holding au Maroc, qui devrait à terme servir de hub pour l'Afrique. «La présence de koç holding est à prendre au sérieux. C'est un investisseur qui peut apporter beaucoup au Maroc, mais qui peut aussi représenter une certaine menace pour nos opérateurs », prévient un spécialiste des relations entre le Maroc et la Turquie. A vrai dire, nous connaissons tous de près ou de loin, mais sans forcément le savoir, Koç holding, ne serait-ce qu'à travers sa filiale électronique Arçelik, 2e fabriquant d'électroménager en Europe et détentrice de la marque d'électroménager Beko. Mais Koç holding, c'est bien plus que de l'électroménager. Crée en 1920, le groupe est le plus grand conglomérat privé turc présent dans l'énergie, l'automobile, les biens de consommation, la finance, la défense. Il comprend pas moins de 113 sociétés dont le groupe pétrolier Tüpras, et pèse pour 17% de la bourse d'Istanbul. Il représente 9 % des exportations turques, 8% du produit intérieur brut (PIB) et emploie plus de 90 000 personnes. Dans l''automobile, Koç Holding c'est 50% de la production Turque et 47% des exportations d'automobiles de la Turquie. Et pour cause, l'automobile figure parmi les activités historiques du conglomérat en devenir. Dès 1967, Vehbi Koç, le fondateur du groupe, signe un accord avec Fiat pour monter une nouvelle usine automobile en Turquie et développe les partenariats à l'international. Auparavant, ce fils d'épicier né à Ankara en 1901 qui a démarré dans le commerce très jeune, avait commencé par devenir le représentant de sociétés comme Ford et Standard Oil (Mobil). A l'époque, la Turquie était complètement dépourvue d'industrie domestique et le pays dépendait donc complètement des importations. Vehbi Koç voit un peu plus loin que sa petite épicerie et crée en 1926 sa première société d'importation. Il a fait le premier pas vers l'institutionnalisation en fondant à Istanbul en 1938 la société anonyme Koç Ticaret. Après la seconde guerre mondiale, la Turquie décide de favoriser les productions domestiques. Vehbi Koç déjà bien positionné avec ses activités d'importations, obtient de ses partenaires étrangers des licences de fabrication locale. D'importateur, Vehbi Koç réussit donc un coup de maître en devenant producteur. Il multiplie les partenariats avec les grands groupes internationaux. Ainsi, c'est au cours d'un voyage aux Etats-Unis entrepris après la Seconde Guerre mondiale, que Vehbi Koç, impressionné par la réussite américaine, convainc General Electric de monter une usine de fabrication d'ampoules en Turquie. L'aventure industrielle démarre. Koç dans les années 1950 fit d'importants investissements dans les secteurs de l'automobile, de l'électroménager, radiateurs, appareils électroniques, textile, boissons, allumettes et nombreuses autres productions turques et fonda le premier holding de Turquie en 1963 Koç Holding. Avec le Holding, de nouvelles sociétés s'ouvrirent les unes après les autres et l'année 1966 vit la naissance de la première voiture turque. Dans les années 70, il se lance dans la grande distribution en rachetant Migros Türk, l'une des premières chaînes de supermarchés en Turquie. Koç va désormais contribuer à industrialiser le pays et faire entrer la société dans l'ère de la consommation. Sous sa bannière, Koç lancera en Turquie la première voiture, le premier tracteur, la première machine à laver, le premier réfrigérateur..., tous des biens fabriqués localement. L'une des clés du succès : les efforts consentis dans la recherche et développement dès le milieu des années 70. Au cours des années 90, le groupe Koç se déploie dans la finance, en rachetant les parts de son partenaire American Express Company: Koçbank voit le jour. Le groupe constitue ensuite une joint-venture avec le groupe italien UniCredit. Aujourd'hui, le conglomérat domine aussi la quatrième banque commerciale turque, Yapi Kredi Bankasi. Cet établissement, qui est aussi lié au géant italien UniCredit, contrôle notamment 21% du marché des cartes de crédit. En 2008-2009, la Turquie est frappée de plein fouet par la crise financière et économique mondiale. Dans son sillage, le secteur automobile, premier contributeur du commerce extérieur, trébuche. Mais cela n'entame en rien les projets de Koç, qui ouvre en partenariat avec Renault Trucks une nouvelle usine de camions dans la province de Bursa. Coût de l'investissement : 25 millions d'euros. En somme, depuis ses débuts, le groupe multiplie les partenariats internationaux avec des entreprises connues comme Fiat, Ford Motor, LG Electronics, B & Q et UniCredit Group. Cependant, longtemps tournée vers l'Ouest, la Turquie lorgne désormais du côté de l'Iran, de l'Irak et du continent africain. Koç a fait sienne cette stratégie et entend bien diversifier au maximum ses marchés pour limiter l'impact des fluctuations économiques régionales. Outre la Turquie, le puissant conglomérat est largement présent en Europe (Allemagne, France, RU, Espagne, Italie, Pays-Bas, mais aussi Slovaquie, République tchèque, Autriche, Roumanie, Pologne), en Russie et en Chine. Le conglomérat présent dans le secteur bancaire investit le tourisme(Divan), via des hôtels et des sites de réservation en ligne et est également présent dans le bâtiment et les travaux publics, la construction navale, les logiciels et l'agroalimentaire. Mais s'il y a bien aujourd'hui un secteur qui cristallise les enjeux de Koç holding, c'est bien sa branche énergétique (électricité, gaz, produits pétroliers). En effet, elle représente aujourd'hui 58% de l'activité de Koç. Le groupe turc fournit, notamment 60% de la demande domestique en fuel, en plus d'être le 5e distributeur de GPL (gaz de pétrole liquéfié) en Europe. Avec Tüpras, Koç détient l'entière capacité de raffinage du pays et répond à 70% des besoins nationaux. En outre, dans le cadre du processus de privatisation d'entreprises d'électricité, Koç et la compagnie américaine AES ont conclu un accord afin de créer une coentreprise AES-Entek, chargée de développer et d'exploiter des projets de production d'électricité, utilisant le gaz naturel, le charbon, l'hydroélectricité et l'éolien. Objectif: figurer parmi les cinq plus importants producteurs d'électricité indépendants en Turquie. Avec une telle étendue d'activité et une croissance annuelle moyenne à faire pâlir d'envie les start-up, soit 13% par an entre 2004 et 2014, Koç holding pourrait bien creuser son sillon au Maroc surtout si elle y perçoit un tremplin pour l'Afrique. Reste à savoir si toutes les conditions seront réunies pour favoriser le développement du groupe, qui vient tout juste d'arrêter les activités de sa filiale suisse. Quasiment inconnu hors de ses frontières, Koç fait pourtant partie du gotha de l'industrie mondiale. Aujourd'hui, le groupe occupe la 450e place des plus gros groupes de la planète selon le magazine Forbes. Ce classement symbolise l'histoire d'une réussite familiale depuis près de 90 ans, sur trois générations. Fondateur du groupe Koç en 1920, Vehbi Koç est un homme d'affaire dont l'influence sur l'industrialisation, l'institutionnalisation, la direction d'entreprise, l'éducation par le biais des fondations, le secteur santé et social a eu une importance considérable. Après avoir pris sa retraite en 1984, il ne s'intéresse qu'aux œuvres sociales. Il est récompensé en 1994 par l'Organisation des Nations Unies pour la réussite de sa Fondation de la Santé et du Planning Familial Turque et en tant que Président de celle-ci. Il reçut cette récompense du Secrétaire Général de Nations Unis Boutros Gali. Vehbi a eu quatre enfants. C'est son fils aîné Rahmi qui prend les commandes du groupe. Celui-ci a rejoint le groupe Koç dès 1958 et il continuera à diversifier le groupe, notamment dans le secteur de la finance en rachetant les parts de son partenaire American Express. C'est ainsi que Koçbank voit le jour. Rahmi cède sa place de président à son propre fils, Mustafa Vehbi Koç, en 2003. D'ordinaire à distance des affaires politiques même si sa famille est plutôt classée à gauche, Mustafa Koç avait subi les foudres du gouvernement de l'actuel président islamo-conservateur, Recep Tayyip Erdogan, notamment après avoir critiqué la répression de la fronde politique de juin 2013. Son groupe avait notamment subi d'importants redressements fiscaux. Décédé le 21 janvier dernier d'une crise cardiaque à l'âge de 55 ans, Mustafa Koç aurait laissé (selon Fortunes 2015) une fortune de plus d'un milliard de dollars, assez loin de celle de son père, Rahmi, évaluée à 2,2 milliards de dollars.