Pour la première fois depuis le début de la crise financière internationale, un investisseur étranger se retire en bonne et due forme d'une des plus grandes banques marocaines. S'agit-il d'une simple logique de marché conséquente à la crise, ou d'une action plutôt dictée par une logique politique? Le 5 novembre dernier, les 2,06% que détenait le groupe Unicredit Banca dans le tour de table de AttijariWafa Bank, ont changé de main. Une importante transaction sur le marché des blocs a eu lieu sur la place boursière casablancaise, portant sur 3,67 millions d'actions de AWB au cours unitaire de 251 dirhams, soit un montant de 186 millions de dirhams. Certes, la participation de cette banque italienne «Unicredit Banca» est minoritaire dans le tour de table de AWB, mais l'événement n'en reste pas moins extraordinaire. Pourquoi une banque étrangère décide tout d'un coup de se retirer du Maroc ? «Si cette banque italienne a des problèmes de trésorerie, il est tout à fait plausible qu'elle décide de retirer ses billes du Maroc, surtout s'il s'agit de participations non stratégiques», explique le représentant au Maroc d'une banque française. Lorsque l'on s'informe sur la situation de la banque italienne, cette explication prend alors tout son sens. Voilà ce qu'on pouvait lire dans la presse internationale le 30 septembre dernier: «la première banque italienne –ndlr:Unicredit Banca- a dégringolé mardi à la bourse de Milan suite à des rumeurs mettant en cause sa solidité financière (…) Le titre Unicredit a chuté de 12,69% à 2,59 euros à la clôture de la Bourse de Milan, dans un marché en recul de 1,06%. La cotation a même été suspendue trois fois au cours de la séance après avoir franchi la limite de baisse. En cinq jours, le titre Unicredit a perdu 25%, et depuis le début de l'année, 55%». Le 12 novembre, les mauvaises performances boursières de la banque sont confortées par l'annonce des résultats du troisième trimestre: la première banque italienne accuse une chute de son bénéfice net au troisième trimestre de 54,2% à 551 millions d'euros à cause de l'impact de la crise financière. Mais cela ne signifie pas pour autant que le retrait des Italiens est directement lié à ses mauvais résultats. Car les 1,5 million d'euros que Unicredit a pu remonter de la vente de ses actions AWB restent somme toute assez dérisoires. D'ailleurs, la banque avait annoncé début octobre le lancement d'une augmentation de capital de plus de 6 milliards d'euros afin de renforcer ses fonds propres. Du coup, le produit de la transaction marocaine paraît rédhibitoire. Il est alors légitime de se demander, même si cela semble de prime abord évident, si le retrait de Unicredit Gruppo du tour de table de AWB est directement lié aux effets de la crise financière internationale qui le touchent de plein fouet. «Je pense que le raccourci est trop simpliste. Le retrait de Unicredit du tour de table de AWB est un sujet un peu plus compliqué, car cette opération a du être discutée depuis plusieurs semaines, si ce n'est plusieurs mois. Le dénouement en bourse a du être fait dans un souci de transparence de la transaction et aussi pour valoriser l'action au prix de marché», précise le directeur général d'une société de bourse. Aujourd'hui, l'intérêt pour la banque italienne ou d'une quelconque banque étrangère d'avoir des participations minoritaires est claire. Soit il est prévu dès le départ de monter progressivement dans le capital, auquel cas les italiens prétendraient à un siège dans le conseil d'administration, soit la prise de participation est en quelque sorte le signe de la volonté d'échanger une certaine expertise et de développer un flux de business entre les deux banques. C'est d'ailleurs le cas entre AWB et Unicredit Banca. Voilà ce que l'on peut lire sur le site de AWB: «à travers son réseau Agenzia Tu, spécialement dédié à la clientèle étrangère résidente en Italie, vous pouvez accéder à toute une gamme de produits et services adaptée à vos besoins en Italie: compte bancaire, transferts vers le Maroc, financement personnel, financement dédié aux professionnels, (…) vous disposez de 6 transferts gratuits par an, effectués par le débit de votre compte tenu auprès d'une agence Agenzia Tu du groupe Unicredit». Auquel cas, céder des participations pour faire face aux frais de fonctionnement de la banque, au lieu de garder un rendement, ne remettrait pas vraisemblablement en question le flux d'affaires entre les deux banques. L'identité du repreneur Seulement, personne ne connaît le contenu exact de l'accord passé entre AWB et Unicredit. «Il faudrait d'abord vérifier si ce cas de figure (ndlr: le retrait des italiens) n'était pas prévu dans le deal de départ», poursuit notre source. Malheureusement, AWB n'a pas répondu à nos interrogations, et a préféré garder le silence non seulement sur le contenu des rapports la liant à cet actionnaire minoritaire que représente Unicredit Banca, mais aussi sur l'identité des futurs repreneurs. Cependant, il paraît plus que probable que les relations commerciales et/ ou partenariat entre les deux banques soient maintenues, quelle que soit la motivation du groupe italien. Car il faut garder à l'esprit qu'au-delà d'une logique de marché liée à une question de «remontée de cash» qui pousserait Unicredit à se recentrer sur ses positions stratégiques, il pourrait y avoir une logique politique. «Il est tout à fait possible que l'on ait demandé aux Italiens de bien vouloir se retirer. Le timing choisi peut aider à masquer les véritables raisons de leur départ vu le contexte de crise financière», suggère le responsable banque d'investissement d'un grand groupe bancaire de la place. Car l'ambition de la banque espagnole Santander, qui détient près de 15% du capital de AWB, et qui est en excellente santé financière malgré la crise, d'augmenter sa participation, est un véritable secret de polichinelle. Sans compter que l'actionnaire majoritaire, à savoir le holding ONA, souhaite lui aussi renforcer davantage sa position. Seule donc la révélation de l'identité des futurs repreneurs pourra permettre de connaître les raisons de ce désengagement de la part de Unicredit. Si c'est un autre actionnaire minoritaire de AWB qui se renforce et qui ainsi dépasse les 5% du tour de table de la banque, le franchissement de seuil sera déclaré dans un délai d'un mois maximum. Dans tous les autres cas, que ce soit l'ONA, Santander,…ou un nouvel opérateur qui fait son entrée, il faudra attendre la publication des comptes à la fin de l'année pour connaître enfin l'identité du repreneur. «En outre, il ne faut pas oublier également de regarder si ces banques étrangères qui se retirent ont des participations dans les filiales de nos banques. Auquel cas, il faudra surveiller si leur désengagement concerne seulement la maison mère ou les filiales aussi», ajoute le responsable d'une banque d'investissement. Cela dit, au-delà du cas AWB/Unicredit, l'on peut se demander si d'autres banques étrangères présentes dans le capital de banques marocaines vont emboîter le pas aux Italiens, en particulier celles qui détiendraient des participations minoritaires. «Je ne pense pas que cela se produise, vu la structure et le dynamisme de l'économie marocaine. Car leur retour éventuel sur le marché marocain se paierait au prix fort, puisque les prix des bancaires n'est plus ce qu'il était auparavant», affirme le représentant au Maroc d'une banque française. Repère Qui est Unicrédit ? Le groupe Unicredito Italiano est le résultat de fusions successives entre la banque milanaise Credito Italiano et Rolo Banca basée à Bologne, ensuite rejoints par des caisses d'épargne régionales. A partir de 1999, UniCredito a commencé à se constituer un réseau dans les pays d'Europe Centrale et d'Europe de l'Est, avec l'acquisition de participations majoritaires (Pologne,Slovaquie, Bulgarie, Croatie, Roumanie et République tchèque). En Turquie, le groupe s'est associé de manière paritaire à Koç Group dans Kocbank, et aux États-Unis, il a racheté Pioneer of Boston. En 2005, Unicredito Italiano a fusionné avec HypoVereinsbank ( HVB ), la seconde banque privée allemande. En mai 2007, le groupe rachète la quatrième banque italienne Capitalia. A fin 2007, Unicredit était la deuxième capitalisation boursière du secteur bancaire en Europe avec un peu plus de 100 milliards d'euros, mais est au 1er rang de la zone euro. Seulement, avec la crise financière, Unicredit est devenue plus vulnérable. Le 26 octobre dernier, la Banque centrale libyenne, le fonds souverain libyen Libyan Investment Authority et la Libyan Foreign Bank, sont montés à 4,23% du capital de la première banque italienne, devenant ensemble le deuxième actionnaire. Malmenée en Bourse sur des craintes quant à sa solidité financière, UniCredit HVB, la filiale allemande de l'italien UniCredit, devrait supprimer entre 2 000 et 2 500 emplois à l'horizon 2010. Le groupe bancaire italien précise que ces réductions d'effectifs devraient toucher principalement la gestion de patrimoine.