Et si «Taemine Al Mahsol» n'était que la partie émergée de l'iceberg? En tous cas pour beaucoup de cadres de Saham Assurance, c'est ainsi qu'a été interprétée la commercialisation de ce nouveau produit par la compagnie de Moulay Hafid Elalamy, actuel ministre de l'Industrie, du Commerce, de l'Investissement et de l'Economie numérique. Ils y voient même un prélude au rachat de MAMDA par Saham Assurance. Au-delà de la polémique actuelle qui a nourri la presse et les médias la semaine dernière, la commercialisation du produit «Taemine Al Mahsol» par Saham Assurance, une multirisque climatique, appelle plusieurs interrogations. Au premier rang desquelles la question suivante: quel impact aura cette entrée en force de Saham dans le secteur agricole sur la MAMDA -Mutuelle Agricole Marocaine d'Assurance-? Avec des tarifs sans doute plus agressifs, un marketing des plus subversifs et des process rodés et parmi les plus efficients du marché, la MAMDA a-t-elle les moyens de faire face à une telle concurrence? Car de nombreuses sources en interne perçoivent ce premier pas comme une manière d'affaiblir la MAMDA avant qu'elle ne soit à terme vendue au dirham symbolique. Et c'est peut-être de là qu'est venue toute cette polémique qui interprète la signature de cette convention entre l'Etat et Saham comme «un cadeau» fait par Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture et de la Pêche maritime à son collègue Moulay Hafid Elalamy –MHE-, ministre de l'Industrie et du commerce et propriétaire de ladite compagnie. Simplement d'un point de vue économique et purement business, l'hypothèse est-elle plausible ? La MAMDA est une mutuelle détenue par ses adhérents. Elle est destinée aux agriculteurs auxquels elle propose divers produits d'assurance santé, automobile, incendie, décès... «Taemine Al Mahssol» est un produit destiné à assurer les agriculteurs spécifiquement contre la sécheresse, c'est ce qu'on appelle une «multirisque climatique». C'est donc un produit qui concurrence clairement celui commercialisé depuis 2011 par la MAMDA. Mais jusqu'à quel point? Le fond de commerce de la Mamda est –il réellement menacé par ce nouvel entrant? Mamda a une forte assise dans le monde rural. C'est une mutuelle agricole puissante qui compte 300.000 agriculteurs sociétaires. « Pour pouvoir la concurrencer, il faut d'abord se prévaloir d'une force de frappe aussi puissante que celle dont elle dispose auprès des agriculteurs », commence par analyser un des plus grands courtiers de Casablanca. Aujourd'hui, les agriculteurs ne connaissent que la MAMDA, et il est difficile et très coûteux de les faire basculer vers un autre assureur. Et pour cause, la MAMDA maîtrise le circuit et les techniques de commercialisation dans le milieu rural en utilisant un marketing adéquat notamment grâce au concept de caravanes itinérantes. «Vous pensez bien que l'agriculteur ne va pas se rendre chez un agent ou un courtier d'assurance. Déjà franchir le seuil d'une agence bancaire lui semble compliqué, de là à aller souscrire une assurance qui de surcroît n'est pas obligatoire, il y a tout un monde. Pour avoir accès à cette population, il faut mettre en place un mode de distribution qui lui est propre, ce qui n'est pas franchement aujourd'hui le point fort de Saham», affirme le même courtier. S'ajoute à cela une autre difficulté: Les agriculteurs que cible ce produit sont des agriculteurs qui s'assurent de manière erratique. Ils ne s'assurent que s'ils ressentent un danger imminent et non pas de manière préventive et récurrente. «S'ils peuvent faire l'économie de la prime d'assurance, ils la font. Car la population cible est de facto composée de petits agriculteurs puisque les grands agriculteurs en général ont recours à l'irrigation et ne sont que peu ou pas concernés par ce type de produit», explique un agent d'assurance de la région de Benslimane. Il y a donc tout un travail de sensibilisation à faire pour espérer gagner quelques parts de marché. Si Saham Assurances se prévaut de certains avantages concurrentiels (cf zoom), il n'en reste pas moins que MAMDA a une nette avance sur le terrain, sans compter qu'elle a réalisé de bonnes performances sur la multirisque climatique qu'elle commercialise depuis 2011. «L'opérateur historique, en l'occurrence la MAMDA, a fait ses preuves en dépassant en 2015 le million de céréales et de légumineuses », déclare à un quotidien de la place Ahmed Ouayach, président de la confédération de l'agriculture et du développement durable. Mieux encore. La superficie assurée par la MAMDA depuis 2011 est passée de 330.000 hectares à plus de 1 million. Autrement dit, la MAMDA se porte bien. « Pour que la Mamda soit éventuellement à vendre à court ou moyen terme, il faudrait qu'elle soit en difficulté », avance un analyste financier. Or c'est loin d'être le cas. En 2014, la MAMDA a enregistré un résultat net de 323 millions de dirhams avec un ROE de près de 7%. Juste à titre indicatif, les compagnies d'assurances classiques sont elles à 10% car contrairement aux mutuelles elles ne redistribuent pas leurs bénéfices, hormis via les dividendes. A contrario, les bénéfices des mutuelles sont automatiquement répercutés sur le montant des primes par exemple qui sont revus à la baisse. Il n'y a donc a priori aucune raison pour que la MAMDA soit à vendre. «Et quand bien même ce serait le cas, il n'est juridiquement pas tout à fait simple de vendre une mutuelle à une société privée, bien que cela soit tout à fait possible. Elle doit être dissoute au préalable », poursuit la même source. Autre paramètre à prendre en compte pour comprendre les enjeux réels de cette convention, c'est la taille du marché du marché de la multirisque climatique. Elle est estimée entre 1 milliard et 1,5 milliard de dirhams. Tout au plus Saham, après moult efforts en termes de distribution et de commercialisation pour convaincre le petit agriculteur de souscrire à un tel produit, pourrait prétendre à 50% de ce marché. Sans doute moins, si d'autres compagnies viennent chercher elles aussi leur part du gâteau. En revanche mettre un pied dans le monde agricole peut s'avérer stratégique mais uniquement à très long terme. Car concurrencer MAMDA qui a pour partenaire la BCP n'est pas une mince affaire étant donné le réseau dont elle dispose. Il faudra pour Saham Assurance développe un réseau commercial de poids à même de vraiment pénétrer le marché rural. Cependant, de source non autorisée au sein de Saham Assurance, la compagnie de MHE envisage d'être très agressive en matière de prix pour prendre sa part du gâteau, ce qui risque de tout de même théoriquement «gêner» la MAMDA. «D'abord, rien n'empêche la MAMDA d'être elle aussi agressive à son tour en matière de prix. Ensuite, voyez Attijariwafa Bank et le Crédit Agricole: est-ce que l'arrivée d'AWB sur le segment du financement des agriculteurs a gêné de quelle que manière que ce soit les performances du Crédit Agricole ? Non. Car le choix des grands agriculteurs était déjà fait, vu que ces derniers n'ont pas de difficultés de financement », analyse un expert bancaire. En d'autres termes, tout ce remue-ménage autour de «Taemine Al Mahsol» n'avait pas lieu d'être ; « C'est surtout la communication qui a été faite autour qui est vraisemblablement inappropriée », commente un haut cadre d'une compagnie d'assurance concurrente. Même si plusieurs voix s'élèvent pour dire que le marché a été passé de gré à gré entre deux ministres d'un même parti –RNI-, que ce marché est un cadeau fait par Akhannouch à son collègue de ministre Moulay Hafid El Alamy, ...c'est surtout la médiatisation de cette signature, avec cette photo qui a fait le tour des rédactions, qui a mis de l'huile sur le feu. «Il fallait à mon avis faire les choses plus discrètement, quitte à prendre le risque de se voir reprocher de profiter d'un deal en catimini. Les communicants de Saham auraient dû anticiper la chose en insistant sur le fait que d'autres compagnies étaient appelées à lui emboîter le pas, et mettre en avant la réactivité de Saham Assurance par rappart à la concurrence pour apporter rapidement son soutien aux agriculteurs », poursuit-il. Aussi, la décision de Saham Assurance de suspendre la commercialisation du produit sur le marché n'a fait que renforcer les suspicions. Surtout qu'après la polémique, la FMSAR –Fédération Marocaine des Sociétés d'Assurance et de Réassurance- a annoncé que d'autres compagnies d'assurance, si elles le désirent, vont également commercialiser des produits similaires. Dans un communiqué, elle indique que le ministre de l'Agriculture leur avait dès le départ adressé une lettre invitant l'ensemble des sociétés d'assurances qui le souhaitent à signer une convention portant sur la couverture des risques agricoles, similaire à celle signée avec Saham Assurance. Pour beaucoup, la réaction de la FMSAR aussi bien que celle de Aziz Akhannouch et cette prétendue ouverture du marché de la multirisque sécheresse n'est que de la poudre aux yeux. Elle n'aurait d'autres objectifs que de calmer la polémique. Toujours est-il, entre ceux qui avancent que cette convention n'a pas respecté la procédure en matière de partenariat public-privé -notamment la loi n°86 -12 qui dispose que le recours à la procédure négociée avec un seul opérateur du privé n'est envisageable qu'en cas d'urgence- et ceux qui affirment que l'article 13 de la convention signée avec la MAMDA en 2011 prévoyait déjà l'ouverture du produit à d'autres opérateurs, il y a matière à creuser pour séparer le bon grain de l'ivraie. Mais une chose est sûre, c'est que la vente de la MAMDA n'est pas pour demain!