Or, syndicats et gouvernement ; ainsique tous les spécialistes s'accordent pour dire que tout retard dans la mise en œuvre de la réforme des régimes de retraite va coûter très cher à l'ensemble de la communauté qui devrait financer leurdéficit sur le budget de l'Etat, donc par l'ensemble des contribuables. Et ce qui est inacceptable sur le plan éthique, c'est qu'il sera demandé, par le biais des impôts, à 70% des marocains de financer le déficit d'un système de retraite dont ils ne bénéficient même pas, sachant qu'à peine 30% des marocains sont couverts. Dans le même sens, la Cour des Comptes avait, de son côté et dans le cadre de sa mission de suivi des politiques publiques, tirer la sonnette d'alarme sur la gravité de la situation du système de retraite au Maroc et marteler sur l'urgence de la réforme. A titre d'illustration chaque année de retard dans la réforme de la Caisse Marocaine de Retraite (des fonctionnaires de l'Etat) représente un manque à gagner pour ce régime de 20 milliards de dirhams. Quant aux mesures à prendre pour éviter cela, elles sont connues et consignées dans les rapports de la commission technique qui travaille sur le sujet depuis plus de dix années. Elles se situent à deux niveaux, le premier est paramétrique (âge de la retraite, taux de cotisation des affiliés et de contribution de leurs employeurs, base de calcul de la pension, ...) et le second niveau est systémique et concerne la refonte globale de tout le système. Par ailleurs, l'extension de la retraite aux autres couches non couvertes de la population, notamment les fonctions libérales, les commerçants, les artisans et les travailleurs non-salariés, est non seulement une mesure sociale pertinente, mais aussi un moyen pour dépasser certains aspects démographiques de la crise de notre système de retraite. Afin d'éviter à notre système de retraite d'aller vers une crise très couteuse pour la communauté, voire une faillite, il devient urgent et nécessaire de dépasser le climat de crispation et de surenchère pour entamer un dialogue serein et constructif en vue de dégager, rapidement, des propositions réalistes et réalisables. Il va sans dire que toute réforme, se doit d'être ambitieuse dans son contenu, mais progressive dans sa mise en œuvre, tout en préservant les droits acquis. Par ailleurs la réforme du système de retraite doit être menée de pair avec celles du système fiscal et du dispositif de la compensation puisque les trois volets sont intimement liés. A ce sujet, la décision vient d'être prise de libéraliser totalement le prix des carburants, ce qui ne pose pas de problème actuellement en raison la tendance baissière du prix du pétrole au niveau international. Mais les choses peuvent se compliquer à moyen et long terme si le prix du pétrole reprend le sens de la hausse. Il semblerait que cette mesure s'inscrivait dans une perspective de vérité des prix à un horizon de quelques années. Or cette question de vérité des prix est loin de faire l'unanimité, non seulement chez les spécialistes, mais aussi au sein des différentes composantes du champ politique national. Il est à rappeler, à ce sujet, que le gouvernement devait, selon son programme présenté devant le Parlement au moment de son investiture, procéder à une réforme globale du système de compensation. Le programme gouvernemental parle, effectivement, de «réforme du système de compensation en vue d'assurer la maîtrise de ses coûts, et de rationaliser la structure des prix des matières subventionnées et le bénéfice qui en est fait par les secteurs, dans le sens de la préservation du pouvoir d'achat des classes pauvres et moyennes».On n'est pas du tout dans un schéma de décompensation totale tel que préconisé par les adeptes de la vérité des prix pure et dure. L'objectif étant de réduire le coût de la compensation pour alléger le déficit budgétaire, il y a beaucoup de niches, notamment par l'assainissement des filières, et l'élimination des poches de rente. Il est à souligner que le déficit budgétaire n'est pas forcément toujours mauvais et que nous pouvons même parler, dans certains cas, d'un «bon» déficit budgétaire. Ce qui est mauvais pour les équilibres macroéconomiques et pour l'économie en général,c'est le déficit structurel, comme l'appelle la directive de l'Union Européenne, c'est-à-dire des dépenses ordinaires de l'Etat supérieures à ses ressources ordinaires; donc un Etat qui vit au-dessus de ses moyens. Mais même dans une telle situation, il ne faudrait pas rester les mains liées et être prisonnier dans une sorte de «cercle vicieux de la pauvreté» : des ressources faibles, donc des emplois faibles qui donnent des ressources faibles aboutissant à des emplois faibles, etc... Quant au bon déficit budgétaire, c'est celui qui vise à financer la relance économique en donnant un coup de fouet aux investissements dans une sorte d'avance à l'économie qui permet de sortir du cercle vicieux que nous venons d'évoquer. Par ailleurs, le déficit budgétaire est dans le cas de notre pays beaucoup plus dû au manque de moyens qu'à des dépenses de l'Etat fortement excessives. A titre d'exemple le poids de plus en plus important de la masse salariale des fonctionnaires par rapport au Produit Intérieur Brut (PIB) est dû beaucoup plus à la faiblesse de ce dernier, car les besoins de la population marocaine sont loin d'être totalement couverts, par exemple, en matière d'enseignants (le préscolaire n'est pas accessible pour la majorité de nos enfants), de médecins, d'infirmiers, d'agents de sécurité,... Nous devons donc, par une stratégie économique dynamique basée sur un modèle de croissance novateur, augmenter la compétitivité de notre économie et assurer un rythme de croissance soutenu pour atteindre, à terme, un niveau de PIB capable de générer des ressources pour l'Etat à même de couvrir les besoins de notre population. Il faudrait, comme l'a souligné le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) dans son rapport thématique, renforcer notre compétitivité par un modèle de croissance qui oriente l'investissement vers des secteurs à forte valeur ajoutée et qui encourage l'innovation, la recherche scientifique et technologique et le développement industriel; ainsi que par une fiscalité efficiente qui favorise le développement économique. Le Maroc a de nombreux atouts qu'il faudrait mettre à profit pour améliorer notre compétitivité, notamment la stabilité institutionnelle, la position géostratégique, la culture d'ouverture, l'existence d'instances de bonne gouvernance, les efforts accomplis pour l'amélioration de l'environnement des affaires, les expériences réussies dans certains secteurs (automobile, aéronautique, off-shoring, ...). D'ailleurs les chiffres sont là pour confirmer cela avec une nette amélioration du volume des Investissements Directs Extérieurs(IDE) dans notre pays au cours de cette année. Mais nous trainons encore des boulets de fer qui altèrent notre compétitivité comme «les déficiences des infrastructures sociales et le faible niveau d'éducation, d'innovation et d'adoption technologique» (rapport du CESE). Viennent s'ajouter à cela la fragilité des équilibres macroéconomiques et les difficultés d'implémentation du cadre législatif et institutionnel. Sur toutes ces questions, nous avons besoin d'un dialogue serein constructif entre les différents acteurs du champ politique et social. C'est pour cela qu'il est temps de mettre fin au climat de crispation et juguler les tendances à la surenchère pour s'inscrire dans une sorte de normalité démocratique apaisée où le débat des idées reprend le dessus. Il y a assez d'intelligence de part et d'autre pour que cela se réalise.