Tapis rouge et foule enthousiaste pour la clôture des Journées cinématographiques de Carthage. L'avenue Bourguiba était noire de monde ce soir très automnal, et ce malgré les contrôles très stricts dans tous les axes menant au site qui abrite la cérémonie. Des renforts de sécurité pour la fouille systématique de tous les piétons, simples passant, badauds et festivaliers... Mais les Tunisiens ont su faire bon cœur face au bras implacable de la tragédie. Tous les observateurs présents à Tunis lors de ces journées exceptionnelles ont relevé et n'ont pas manqué d'occasion pour saluer et rendre hommage au sang froid, à la clairvoyance à l'endurance dont a fait preuve l'ensemble de la population et en particulier le très beau public des JCC qui mérite, comme nous l'écrivions lors d'un précédent article, Un Tanit d'or exceptionnel. L'agenda du festival a été révisé pour adapter les horaires de la programmation aux nouvelles circonstances avec notamment un couvre-feu qui commence à 21heures. La cérémonie de clôture a été ainsi avancée à 17h. L'ambiance générale et l'engouement des uns et des autres contrastaient ainsi avec le dispositif sécuritaire omniprésent. N'oublions pas que tout ce cinéma se déroule à quelques centaines de mètres du lieu de l'attaque. Les invités nombreux, y compris des personnalités politiques tunisiennes, ont donné à ce qui est un rituel inhérent à un rendez-vous artistique, les dimensions d'une manifestation engagée au service de la liberté et de la tolérance. Engagées, les JCC ont fait ce choix d'une manière éloquente et à plusieurs niveaux. Il sera omniprésent dans la programmation, il le sera dans le palmarès et il est apparent dès la montée sur scène de l'animateur de la soirée Bassem Youssef, le célèbre cardiologue égyptien reconverti en animateur satirique de la télévision ayant connu des déboires avec les pouvoirs en place au bord du Nil. Sa présence est une forme d'hommage, un hymne à la liberté. Sa prestation fut à la hauteur de sa renommée. Malgré un français approximatif (il a promis de faire un effort la prochaine fois) il a mené avec maestria la présentation du palmarès réagissant aux imprévus et aux cafouillages qui sont familiers dans ce genre de cérémonie sous pression. Le hasard va faire que le premier et le dernier Tanit d'or de la soirée seront attribués à des films venus du Maroc. C'est en effet Nabil Ayouch qui inaugure la soirée en s'octroyant le prix du public décerné dans une section où concouraient les films ayant obtenu l'Etalon d'or au Fespaco. Ali Zaoua en faisait partie et le public tunisien n'a pas oublié qu'en 2002, le film d'Ayouch méritait le Tanit d'or. Une autre manière de corriger l'histoire tunisienne pleine de trous et d'omissions. Mais les observateurs et les cinéphiles ont trouvé cette section bizarroïde et il y a fort à parier qu'elle ne sera pas reconduite. Nabil Ayouch, très apprécié auprès du public cinéphile tunisien, reviendra sur scène pour le prix du jury accordé à son film controversé Much Loved. Un prix qui a été interprété comme un geste politique. La programmation du film en compétition officielle, le prix qui lui est décerné, le tapage fait autour de sa présence relèvent davantage d'une campagne de promotion des JCC s'octroyant ainsi le beau rôle celui de défendre «les films opprimées». Carthage devrait ainsi envoyer un message de remerciement à ceux qui à Rabat ont interdit le film pour leur avoir offert ce coup de pub gratuit. Le film n'ayant pas du tout convaincu pour ses qualités intrinsèques. Sur un autre registre, L'orchestre des aveugles va continuer sur sa lancée victorieuse. Le Tanit d'or rejoint ainsi toute une série de récompenses, notamment le grand prix de Khouribga du meilleur film africain. Khouribga et Carthage ayant un socle cinéphile qui fait leur spécificité. Sobre et serein, Mouftakir a reçu son grand prix en remerciant le cinéma tunisien, à la base de sa cinéphilie. Le reste du palmarès est globalement équilibré, les films ayant suscité de l'intérêt ou provoqué des débats ont été récompensés. A signaler quand même la prépondérance des films d'Afrique du nord (Maroc, Algérie, Tunisie) du Moyen Orient (Irak et Syrie) et d'Afrique du sud (deux prix) et l'absence de plus en plus flagrante de l'Egypte, de la majorité des pays d'Afrique sub-saharienne. Dans ce sens, il est significatif que la nouvelle section dite joliment Cinépromesse dédiée aux films d'écoles a été ouverte à l'international et ce sont des écoles de Turquie, de Suisse et d'Espagne qui ont été consacrées. Un signal peut-être que l'avenir des JCC passe par là.