Aujourd'hui samedi, le théâtre municipal de Tunis, imposant édifice historique sous le regard d'Ibn Khaldoun, abrite la cérémonie de clôture de la 26ème édition des journées cinématographiques de Carthage. Une édition mouvementée marquée par l'événement dramatique qui a secoué la capitale tunisienne mais qui a su remplir son contrat grâce d'abord et avant tout à son public. A l'heure des bilans, et du palmarès, le premier prix est à décerner indéniablement à ce formidable public qui a porté les films, tous les films, dans des circonstances parfois difficiles, avec amour, empathie et cinéphilie. La présidence de la république tunisienne, dans un geste élégant et très symbolique, organise ce même jour de clôture, une réception au Palais de Carthage, en l'honneur des festivaliers des JCC en hommage au cinéma qui a exprimé au nom du peuple tunisien l'attachement à la vie, l'attachement aux valeurs humanistes illustrées par la diversité des films, des invités...qui ont su développer à travers leurs films des discours qui disent l'humain dans sa complexité, dans ses désirs et ses rêves. Une manière aussi de dire Merci aux centaines d'invités qui ont fait le choix de rester auprès du peuple tunisien dans ses moments difficile, de l'accompagner avec sympathie et fraternité dans son deuil. Si la majorité des invités internationaux, a choisi, en effet, spontanément de maintenir son séjour et son programme d'activités, c'est en grande partie grâce à l'engouement et la chaleur restée intacte du nombreux public tunisien. Ce public qui une nouvelle fois a donné sa preuve de sa vitalité avec l'accueil exceptionnel réservé au film de Nabil Ayouch, Much loved. La dernière journée de la compétition officielle a été marquée par la projection de deux films marocains créant ainsi l'événement dans l'événement. Si Much loved a drainé une foule nombreuse motivée par diverses raisons, le film de Mohamed Mouftakir, L'orchestre des aveugles a vu une partie du public résister jusqu'au bout malgré l'approche de l'heure d'entrée en vigueur du couvre feu. Ce fut en effet une expérience édifiante de voir le film dans des circonstances si exceptionnelles ; de sortir de la salle et de se retrouver dans des rues désertes avec de rares piétons qui se hâtent de rentrer chez eux. L'équipe du film représentée par le cinéaste Mohamed Mouftakir et la star nationale Younes Megri ont tenu à saluer le public et lui présenter leurs témoignages de sympathie et de solidarité. Le film a relativement pâti du retard pris dans la séance précédente, celle justement de Much loved. Une séance qui a donné des sueurs froides aux organisateurs. Le film a démarré avec plus de 40 minutes de retard sur l'horaire prévu. Il fallait trouver le meilleur moyen d'organiser l'entrée du nombreux public dans le respect des dispositifs de sécurité prévus. Plus d'une heure auparavant la file débordait déjà sur l'avenue Bourguiba. Immergé au sein de cette foule, jeune, jovial, attentif, j'ai cherché à gauche et à droite à connaître quelles en étaient les motivations : il y a indéniablement l'effet internet et des extraits divulgués via les réseaux sociaux que certains avaient pris pour une bande annonce. Des étudiants m'ont expliqué qu'ils sont là par solidarité avec un film interdit d'autres, plus âgés, étaient venus parce qu'ils aiment le cinéma de Nabil Ayouch (Ali Zaoua notamment). D'autres tout simplement pour vivre l'événement. Les 1500 sièges du Colisées ont été ainsi pris d'assaut. Nabil Ayouch accompagné carrément du directeur des JCC a présenté son film en disant son bonheur et sa reconnaissance aux JCC qui ont permis au film d'être vu dans le monde arabe ; mettant en avant sa dimension sociale, en précisant que c'est un regard empathique à l'égard de ses femmes, dit-il, qui sont partout sont brimées. Finalement, l'accueil fut très mitigé ; les applaudissements juste corrects et les premières réactions relayées par les réseaux sociaux ont mis davantage l'accent sur la fierté des Tunisiens d'être le pays de la liberté d'expression et d'être les premiers à le voir...Bref de là à dire qu'il trouvera un distributeur local il y a un pas que la triste actualité ne permet guère de franchir. Reste à voir comment le jury présidé par un Marocain, M. Saïl, va ordonner tout cela. Disons en toute sincérité que le Maroc sort largement gagnant de tout ce « bruit » même l'interdiction du film est débattue dans des termes d'échange de points de vue et non dans une posture de dénonciation. Nabil Ayouch, Mohamed Mouftakir et les nombreux jeunes cinéastes des autres sections des JCC ont donné une nouvelle illustration de la diversité du cinéma marocain, de son dynamisme et de son rapport multiforme avec son environnement social.