Cette fois c'est Le Monde qui s'en mêle ! Le célèbre quotidien du soir a offert une tribune à Loubna Abidar, l'actrice controversée, où elle dit tant de bien de ce qui fut son pays, Le Maroc. Elle a exprime en effet sa volonté de quitter ce pays. Le journal parisien qui avait bâti jadis sa réputation sur une pratique faite de professionnalisme et de sérieux va même dans un article informatif à sens unique jusqu'à préciser dans la présentation de la comédienne qu'elle est amazighe. Tiens donc ! C'est la première fois que ce qualificatif vient étoffer son CV. Le contexte se prête en effet à faire feu de tout bois ; pour servir le scénario de victimisation et accentuer sa dimension dramatique. Préciser que Abidar est amazighe c'est apporter une touche d'oppression ethnique à l'agression physique, à l'harcèlement machiste et à la répression culturelle. Une femme, une amazighe, une actrice rebelle...voilà les ingrédients typiques pour le profil de la victime, suffisamment mis en scène pour monter une nouvelle affaire contre ce Maroc qui dérange. Sauf que le journaliste qui a découvert l'origine ethnique de l'actrice a oublié de préciser qu' «Abidar» en amazigh signifie «boiteux», «bancal»...à l'image en fait de toute cette mauvaise affaire qu'on tente de nous servir. Ce faisant, le Monde rejoint ainsi le concert d'apitoiement qui entoure le film, tel un réfugié syrien et sa comédienne (sic) depuis sa sortie tapageuse à Cannes ou plutôt depuis «les fuites» des rushes qui n'appartiennent pas à la version officielle du film et qui ont néanmoins entrainé son interdiction par les autorités marocaines. Ce déferlement de sympathie à l'égard du film de Ayouch ne manque pas de significations, et trahit une certaine mentalité chez lez distributeurs français. Deux poids deux mesures à l'égard des films provenant des ex-colonies. Alors que Much loved bénéficie de tous les petits soins glanant même des prix ici et là, d'autres films marocains sont bloqués par le visa Schengen. Je connais au moins deux grands films marocains et coproduits avec la France qui attendent en vain une sortie commerciale : L'orchestre des aveugles et la moitié du ciel. Deux grands films récompensés dans leur pays et plébiscités par le public et la critique qui ne trouvent pas un distributeur courageux, capable de mette en application la fameuse diversité culturelle tant galvaudées par les élites françaises. Le message est stupide : un film doit être alors interdit dans son pays pour bénéficier de la charité sympathique des distributeurs. Même nos amis (frères) tunisiens ont cédé face à cette vaste opération d'instrumentalisation orchestrée autour du film en l'inscrivant en compétition officielle des prochaines JCC (Journées cinématographiques de Carthage). La vie d'Adèle, le film du franco-tunisien, Abdel Kechiche n'a pas eu la même chance avec Carthage ni avec les distributeurs tunisiens. Gageons que le Prix d'interprétation féminine des JCC est déjà réservé. D'une victime, l'autre. Et la principale victime de cette pseudo affaire, c'est le film lui-même. Tout ce bruit dérange et parasite sa réception publique sereine et apaisée. Le film en effet est porté par des qualités intrinsèques; il est réalisé par un cinéaste important de notre paysage cinématographique. Un film qui aborde des problématiques sérieuses et pose des questions de fond quant au rapport du cinéma au réel, au social. Et à y regarder de près (toujours dans la version officielle : je récuse l'idée de le juger à partir des extraits piratés), il offre même des éléments qui dessinent des pistes de lecture...que Loubna Abidar aurait dû bien méditer. Comme cette belle scène où l'on voit une femme, foulard blanc sur la tête et Djellaba sombre marcher dans une rue de la médian...Un corps comme tant d'autres que l'on croise matin et soir dans nos rues. Le film nous invite à un arrêt sur images; à nous interroger sur quelle histoire, quel récit de vie portent ces corps enfermés dans des apparences...fausses. Tout le projet du film est de traquer l'invisible tragique derrière ce visible trompeur. C'est ainsi que l'on découvre que cette femme (Loubna Abidar) va en fait voir un enfant qu'elle avait confiée à sa mère. Celle-ci lui dit : «ne reviens plus ici ! Ne te montre plus dans le quartier; je ne veux plus te voir». Une réplique prémonitoire qui dit, au-delà du personnage auquel elle s'adresse, le devenir de l'actrice qui l'incarne. Mais le problème/le drame de Loubna Abidar transcende celui de Noha. Abidar n'a pas un problème avec le quartier. Elle vit aujourd'hui grâce à la nouvelle tribu virtuelle ; son oxygène c'est le buzz. Elle est en addiction des réseaux sociaux. Sans buzz elle n'existe pas. Elle ne peut plus sortir des réseaux. Elle est dans Matrix. Entre elle et le réel, il y a la toile. Sa raison d'être. Quitter le Maroc ou y revenir ne sont pas la réalité ; sa réalité est cybernétique. Maintenant la séquence drôle de l'histoire. Un expert de la communication et de la publicité vient de mettre sur la place publique une idée (encore une) destinée à qui de droit consistant dans la création d'une agence nationale pour améliorer l'image du Maroc. Une image égratignée, selon un communiqué officiel par le film de Nabil Ayouch. L'expert qui se propose de corriger cette image n'est autre que Nour Eddine Ayouch. Autant de rebondissements dignes d'un scénario qui pourrait intéresser Hicham...Ayouch.