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Entretien avec le professeur Mohamed Darif « Le régime égyptien en quête de légitimité»
Publié dans Albayane le 27 - 03 - 2012

Le professeur Mohamed Darif estime que les analystes les plus avertis savent bien que le prochain successeur de Moubarak ne sera qu'un militaire. C'est dans sens que va la désignation de Omar Sulaiman.
Les décisions prises par le président égyptien nommant ce dernier en tant que vice-président et le Général Ahmed Chafik, chef du gouvernement, désigné pour former le nouveau cabinet, visent d'abord à endiguer l'institution militaire. Darif considère que ceux qui croient que le régime de Moubarak va s'effondrer se trompent énormément. Et pour cause, le peuple égyptien n'est pas encadré par l'opposition. Le mouvement des jeunes de 6 avril, à l'origine de ces événements, ne dispose pas d'une vision ou alternative au régime actuel, souilgne-t-il.
Al-Bayane : Aujourd'hui le peuple égyptien en colère contre les hommes au pouvoir, peut-on dire que le système politique en Egypte a épuisé sa légitimité ?
Mohamed Darif : Actuellement on parle du régime du Hosni Moubarak. Ce dernier fait parti des militaires qui ont mené ce que l'on désigne « la révolution des officiers libres ». Notons que ce régime était doté d'une légitimité révolutionnaire, puisant son référentiel idéologique du panarabisme, et non point d'une légitimité émanant des urnes, tout en promettant aux égyptiens plus de justice sociale. Ce système a essayé aussi de consolider ses bases sur des facteurs exogènes, notamment l'unification du monde arabe, et la confrontation avec Israël. Jusqu'à l'heure, trois Présidents, tous des militaires, se sont succédé pour diriger l'Egypte.
De ce fait, on pourrait avancer que le régime égyptien a épuisé sa légitimité depuis des décennies. Cette légitimité dont avait jouit Jamal Abdenasser a été mise en cause par Anouar El-Sadate, qui a commis, selon les observateurs, une soi-disant « apostasie idéologique ». Par ailleurs, une analyse pertinente du champ politique égyptien nous montre comment les hauts officiers se sont transformés en des « pseudos civils », munis d'un parapluie politique, au sein du PND.
Cependant, cette légitimité légale demeure faible, car, il est difficile de parler en Egypte d'élections transparentes. Le Parti au pouvoir jouit d'une majorité absolue au Parlement, surtout si l'on sait que la plupart de ses membres sont désignés. Cela suscite alors beaucoup de questions sur la pratique démocratique dans le pays des Pharaons.
Ne pensez-vous pas que la réaction du peuple est dûe en prime abord à la décision de Moubarak de passer le pouvoir à son fils Jamal ?
Ceux qui parlaient de la question de l'héritage étaient vraiment à côté de la plaque et n'avaient rien compris des mécanismes avec lesquels fonctionne le régime. Les analystes les plus avertis savent bien que le prochain successeur de Moubarak ne sera qu'un militaire. C'est dans sens que va la désignation de Omar Sulaiman. Ce dernier est un fin connaisseur des rouages des services de renseignements. Il a joué aussi un rôle important dans les négociations entre Palestiniens et Israéliens. Soulignons qu'il détient, en outre, des relations étroites avec les dirigeants de Tel-Aviv. Donc, et vu le rôle stratégique de l'Egypte dans la région, le prochain président de l'Egypte devrait avoir l'appui des Etats-Unis. Et dans ce cas de figure, Omar Sulaiman est l'homme de la prochaine étape par excellence. Quant à la colère du peuple égyptien, il constitue un moyen de se prononcer autrement et une réaction à un régime qui a conduit le pays durant plusieurs années avec despotisme.
Certains analystes disent qu'il ne faut pas s'attendre en Egypte au même scénario que celui qui s'est produit en Tunisie, car Moubarak détient des relations solides avec les dirigeants militaires ?
En principe, c'est vrai. Car le cas de la Tunisie diffère de l'Egypte. Ben Ali a renforcé l'institution policière au détriment de l'armée. Les chiffres indiquent que plus de 200.000 agents de sécurités existaient à l'ère de Ben Ali, alors que le corps de l'armée ne disposait que de 40.000 soldats. Mais, cela n'empêche qu'il y a des ressemblances. En Tunisie, les médias ont exagéré, selon leurs commentaires, l'événement de la chute du président par le peuple. En fait, c'est une continuité du système avec une autre manière qu'on peut qualifier de « déguisée ». Car, on a assisté à une alliance entre les militaires et les symboles de l'ancien régime. Ces symboles ont joué un rôle clé à l'époque de Ben Ali, comme c'est le cas de Mohamed Ghanouchi qui dirige actuellement le gouvernement transitoire, et Fouad Mebazaa.
En Egypte, c'est le même cas, avec quelques nuances, c'est que l'armée soutient Moubarak. Mais, l'occident sait bien que la mission de Moubarak est presque terminée. D'où l'appel des Etats-Unis à des réformes politiques profondes. Il est vrai qu'il existe une différence dans les visions entre le chef de l'Etat-major égyptien, Sami Anan, et Moubarak, mais les décisions prises par le Président égyptien désignant Soulaiman en tant que vice-président et le Général Ahmed Chafik en tant que chef de gouvernement, désigné pour former un nouveau cabinet, visent d'abord à endiguer l'institution militaire, et laissent prédire qu'il y aurait un transfert du pouvoir prochainement. On peut dire, que c'est une reproduction du cas tunisien, mais autrement.
Jusqu'à l'heure, les frères musulmans n'ont pas affiché une position claire ?
Il est vrai que les frères musulmans ont affiché une certaine réserve. Leur position peut s'expliquer par la campagne des arrestations menée contre eux é. En fait, ils savent très bien qu'ils sont dans la ligne de mire du pouvoir. Le Parti au pouvoir a déjà déclaré que derrière les actes de vols et pillages se trouvent les frères musulmans. Il a même déclaré qu'il détient des preuves palpables. Déjà, vendredi dernier, on a procédé à l'arrestation de plus de 34 membres de la Jamaâ. Cette situation a poussé le « Guide général » de la Jamaâ à lancer un appel à ses membres pour constituer des commissions populaires afin de protéger les biens publics et privés. Une manière pour démentir les propos du parti au pouvoir.
Notons que les revendications d'El Jamaâ ont porté juste sur la levée de l'état d'urgence, la dissolution du Parlement et la réforme de la Constitution…et ne contenaient guère un appel clair pour le départ de Moubarak.
Au cas où le régime de Moubarak s'effondrait, quel impact sur les équilibres stratégiques dans la région ?
Ceux qui croient que le régime de Moubarak va s'effondrer se trompent énormément. En fait, depuis le déclenchement de la crise, l'administration américaine s'est réunie autant de fois que les dirigeants égyptiens. Cela témoigne de l'importance stratégique qu'occupe la région auprès des Etats-Unis. Et dans le cas où Omar Sulaiman accéderait au pouvoir, il va procéder à des changements tels l'élargissement des espaces de libertés et l'application de quelques réformes politiques sans toucher à l'essence du pouvoir. Le départ de Moubarak ne va pas changer grande chose. Et pour cause, le peuple égyptien n'est pas encadré par l'opposition. Le mouvement des jeunes de 6 avril, à l'origine de ces événements, ne dispose d'aucune vision, ou alternative au régime actuel.


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