Abdeslam Seddiki, professeur de l'enseignement supérieur, considère que ni le Parlement, dans sa composition actuelle, ni le gouvernement, qui est l'émanation d'un compromis boiteux, ni la justice qui est pénétrée par la corruption, ne seraient en mesure de faire des miracles pour mettre en place une bonne gouvernance des entreprises publiques. Pour le membre du Bureau politique du PPS, l'assainissement et la moralisation de la vie publique font partie du combat démocratique que seuls les véritables démocrates peuvent mener. Tout le reste n'est que de la poudre aux yeux, souligne-t-il. Quels sont les enjeux de la gouvernance des entreprises publiques pour les pays en voie de développement, en particulier le Maroc? Avant de répondre à votre question, il serait utile de faire un « détour » théorique pour définir la notion de gouvernance, ou plus précisément de « bonne gouvernance. Rappelons que cette notion de gouvernance n'a jamais fait l'objet de définition précise dans le contexte des politiques de développement. La Banque Mondiale traduit la gouvernance comme « la manière par laquelle le pouvoir est exercé dans la gestion des ressources économiques et sociales d'un pays au service du développement «. Le Comité d'aide au développement de l'OCDE, dont les travaux se sont inscrits dans la mouvance de ceux de la Banque Mondiale, la définit comme « l'utilisation de l'autorité politique et l'exercice du contrôle en rapport avec la gestion des ressources d'une société en vue du développement économique et social». La notion est en fait utilisée de façon quasi exclusivement normative par les organismes de prêt internationaux pour désigner les institutions, les pratiques et les normes politiques nécessaires, en théorie, à la croissance et au développement économique des pays emprunteurs. La Banque Mondiale énonce quatre conditions à l'établissement de la bonne gouvernance : l'instauration d'un Etat de droit qui garantisse la sécurité des citoyens et le respect des lois (indépendance des magistrats), la bonne administration qui exige une gestion correcte et équitable des dépenses publiques, la responsabilité et l'imputabilité (accountability) qui imposent que les dirigeants rendent compte de leurs actions devant la population et enfin la transparence qui permet à chaque citoyen de disposer et d'accéder à l'information. Globalement, on s'accorde à reconnaître qu'une bonne gouvernance suppose : la transparence, la responsabilité, la reddition des comptes. Pour faire court, elle suppose l'instauration de l'Etat de droit. Par conséquent, les entreprises publiques doivent être gérées selon ces règles d'art, d'autant plus qu'il s'agit d'un patrimoine public : les responsables doivent réunir les critères de probité et de compétence, ils doivent rendre des comptes devant le peuple à travers ses représentants. Pensez-vous que la mise en place d'un Code de bonne gouvernance spécifique aux établissements publics va contribuer à améliorer la transparence au sein de ces entités étatiques ? Code de bonne gouvernance ou pas, il s'agit avant tout, comme je viens de le dire, d'appliquer le droit et de respecter la loi qui doit être au dessus de TOUS. C'est justement dans ce sens que je constate, avec satisfaction, que les propositions des principaux partis politiques, notamment des partis démocratiques, relatives à la réforme constitutionnelle, vont dans le sens de renforcer la bonne gouvernance des entreprises et établissements publics. Il s'agit en fait de mettre ces établissements sous la responsabilité du gouvernement et de mettre leurs responsables, nommés par le gouvernement, sous la responsabilité du Ministre de tutelle. De la sorte, ils feront l'objet d'interpellations et d'auditions de la part du Parlement, à qui ils sont tenus de rendre des comptes. Par ailleurs, la nomination des dirigeants de ces entités publiques ne doit pas procéder de l'humeur. Il est temps de substituer la compétence à l'allégeance !! Comment l'Etat doit-il procéder pour qu'on puisse parler d'une meilleure gouvernance au sein des établissements publics ? Chaque établissement public doit disposer de son programme annuel et pluriannuel en parfaite symbiose avec le programme gouvernemental. Des rapports d'étape doivent être présentés devant le parlement à l'occasion du débat budgétaire. Dès qu'une moindre anomalie est constatée, des commissions d'enquête parlementaires doivent être lancées conformément aux dispositions légales et constitutionnelles. Tout ce travail est l'affaire de l'Etat, c'est à dire des principaux pouvoirs en place dans le plein respect des prérogatives de chacun. Cela suppose un Etat fort et démocratique jouissant des instituions crédibles et représentatives. Malheureusement, on est loin d'une telle séquence. Ni le parlement, dans sa composition actuelle, ni le gouvernement, qui est l'émanation d'un compromis boiteux, ni la justice qui est pénétrée par la corruption, ne seraient en mesure de faire des miracles. Comment peut-on concilier entre une bonne gouvernance et une meilleure performance économique ? Il ne s'agit pas de conciliation. La bonne gouvernance et la performance économique vont de pair. Ce ne sont pas des notions antinomiques, mais plutôt des sœurs jumelles ! Une bonne gouvernance qui ne produit pas de la performance n'en est pas une. Reste bien sûr à savoir ce qu'on met dans la « performance économique ». S'agit-il de l'enrichissement des dirigeants ou de l'enrichissement du pays ? S'agit-il de la satisfaction des besoins de quelques individus ou des besoins de la société ? Les critères de la performance sont multiples et le choix est d'abord politique. Au Maroc, en dépit des rapports émanant de certains organes (la Cour des Comptes...) relevant des défaillances graves dans certains établissements publics, on constate qu'il n'y a aucune poursuite judicaire, cela ne s'explique-t- pas par une certaine faiblesse de l'Etat ? Vous avez entièrement raison. Et c'est à juste titre que le mouvement des jeunes s'est élevé contre la dépravation et le pillage des biens publics. Il est pour le moins navrant de constater que la justice est restée muette face à des scandales financiers avérés comme celui de la CNSS et du CIH ayant fait, de surcroît, l'objet de rapports de commissions d'enquêtes parlementaires il y a déjà plus d'une dizaine d'années ! Il est navrant de relever que la justice reste muette et indifférente face à des rapports de la Cour des Comptes ayant relevé des malversations dans plusieurs secteurs. Certes, on peut justifier cela par le fait que la justice marocaine n'est pas formée pour traiter de tels dossiers et que les juges manquent de compétences dans les domaines financiers comme on le répète ici et là. Comme on peut le justifier par la complexité des procédures judiciaires qui prennent du temps. Mais toutes ces raisons ne sont pas convaincantes et suffisantes. Il y a un manque de volonté politique car on a peur de toucher à ces dossiers sensibles qui comportent des complicités certaines. L'assainissement et la moralisation de la vie publique font partie du combat démocratique que seuls les véritables démocrates peuvent mener. Tout le reste n'est que de la poudre aux yeux pour faire comme si…