Théâtre marocain Pour savoir comment l'amitié cède la place aux calculs et à la compétition autour de la direction, nombreux sont les exemples à citer parmi nos troupes théâtrales qui voient leurs membres se séparer, dans la majorité des cas, pour des conflits internes qui finissent toujours par remonter à la surface. La troupe de «Masrah El Hay» constitue le cas typique qui illustre cette situation. Succès puis décadence, voire même menace de disparition, ont en effet marqué le parcours de cette légendaire troupe. La division devient la règle en ce qui concerne le destin de la plupart des troupes théâtrales. La réputation de ceux-ci reste attachée à la réussite de leurs premières œuvres ou pièces qui traduisent la créativité artistique pure et naturelle. Le public est plus attiré par les travaux qui viennent du cœur, qui résultent d'un effort artistique d'un ensemble homogène. En cherchant l'explication du nombre de séparations au sein de la scène artistique nationale, on trouve au fronton des causes l'avidité du gain rapide. Or, comme le dit l'adage, « à trop vouloir gagner, on perd tout». Cette vérité se retrouve dans la sagesse marocaine qui dit que l'harmonie quitte les lieux lorsque l'argent devient le but ultime. Pour approcher ce phénomène dans la pratique théâtrale, et pour juger l'exactitude d'une thèse voulant que le trop d'avidité cause la ruine au sein des troupes théâtrales les plus célèbres, l'instrument de mesure sera la comparaison entre deux échantillons de renom, à savoir «Masrah El Hay» et «la troupe du théâtre national». Aujourd'hui, le retour du théâtre d'une façon générale et de troupes comme celle de «Masrah El Hay» en particulier est plus que souhaité. La scène théâtrale a été marquée par la disparition d'une troupe de légende qui a écumé la scène théâtrale avec un brio époustouflant avant se rentrer dans une longue éclipse. Des comédiens brillants comme Abdelilah Ajil, Hassan Foulane et Nourredine Bikr, les trois compères qu'une vieille amitié unit, s'en vont former leur propre troupe «Masrah El Hay» en 1987. Ancrées dans la critique sociale, «Shareb âaqlou», «Laâqal ou Sabbourra», «Hassi Massi» et «Sharrah Mallah» sont des pièces qui ont été favorablement accueillies par le public. Le public n'oubliera pas de sitôt ces pièces qui l'ont enchanté comme «Hassi Massi», «Charrah Mallah» et d'autres encore qui ont obtenu un grand succès grâce à la formidable prestation des acteurs qui campaient avec justesse leurs personnages, en improvisant des répliques, multipliant les apartés ou chahutant leurs partenaires. Aujourd'hui le public s'interroge la véracité de l'imminente reformation de Masrah El Hay. L'on se rappelle qu'après une quatrième pièce désastreuse, «Hab ou Tban», Mohamed Khiari et Abdelkalek Fahid, à l'unisson, se retirèrent tapageusement et créèrent leur propre troupe, dont l'unique création est «Fouq Assalk». Le reste de la troupe tenta désespérément de poursuivre son chemin, mais «Aïn Bayn», sa nouvelle pièce, ne passa pas non plus la rampe. Ajil et Khiari se gaussèrent de leurs enfantillages, les spectateurs sont devenus écœurés par les flèches incendiaires que s'envoyaient, par presse interposée, les clans Khiari-Fahid et Ajil-Foulane-Bikr. Dernièrement, les membres de cette troupe, avec à leur tête Hassan Foulane, décident de retrouver les planches en vue de relancer leurs activités avec le projet d'une nouvelle pièce «Al Kadia fil Barkia», dont seuls Mohamed Khyari et Abdelkhalek Fahid seront absents. En réalité, les membres de «Masrah El Hay» ont gelé leur projet et décidé de prendre un peu de répit. Dans l'émission Annaghma ou Attay, Mohamed Khiari annonça qu'il était prêt à se réconcilier avec le trio ennemi. Le retour de Masrah El Hay fut à chaque fois différé. Cela fait quelque temps déjà que cette troupe comptait reprendre, mais cela avait toujours été reporté. A l'opposé de «Masrah El Hay», la «Troupe du théâtre national» se distingue brille par sa continuité créative. Depuis 1990, l'étoile de la Troupe du théâtre national n'a cessé de briller, sa notoriété s'affirmer et sa cote monter dans la bourse des valeurs sûres des planches marocaines. Cette troupe joue toutes ses pièces avec la même équipe : Mohamed Al Jem, Nezha Regragui, Souad Khouyi, Fatiha Watili, Hind Chahboune, Aziz Maouhoub, Mohamed Khaddi. Lors d'une interview un magazine hebdomadaire casablancais, Mohamed Al Jem a affirmé que les membres de la troupe sont liés par un contrat d'amitié et de respect mutuel. «Nous sommes tous affiliés à l'administration du Théâtre Mohammed V, et c'est la raison pour laquelle vous remarquez que nous jouons souvent ensemble». L'unicité du réalisateur y est également pour quelque chose dans cette homogénéité. En effet la «Troupe du théâtre national» n'a jamais cherché à changer de réalisateur pour ses pièces théâtrales. «C'est par amitié qu'on met, depuis une longue date, nos œuvres entre les mains d'Abdellatif Dechraoui. C'est surtout une question de compétence de ce grand monsieur. D'ailleurs, comme disent les Français : on ne change pas un cheval qui gagne. Dechraoui a toujours contribué au succès de nos pièces théâtrales, et je ne vois donc pas pourquoi je vais le quitter pour un autre réalisateur», ajoute Mohamed Al Jem. La Troupe du théâtre national continue jusqu'à l'heure de rouler sa bosse sur les planches. Ses artistes se produiront lors même lors d'une tournée annuelle en France et en Allemagne au grand bonheur des communautés maghrébines expatriées. Grâce à une subvention du ministère chargé des Marocains résidant à l'étranger, la troupe vient de présenter sa comédie hilarante «Sa3a Mabrouka». Elle s'est produite dans de nombreuses villes françaises où elle a rencontré un franc succès à Avignon, Toulouse et Arles et Béziers. La stabilité interne a poussé l'ensemble à créer une nouvelle pièce «Bghina Ndehkou», sans oublier «La femme qui...», «Jar wa majrour»... Mais cette réussite de la Troupe du théâtre national ne doit pas cacher un fait manifeste, à savoir que le théâtre connaît dans notre pays une crise grave. Il faut donc essayer de comprendre les raisons de cette crise, de faire le bilan de l'expérience théâtrale nationale et d'essayer de trouver nouveaux horizons. L'histoire tumultueuse de «Masrah El Hay», qui a conduit une troupe ayant à son actif des années de création et de continuité ainsi qu'une génération de pionniers du théâtre marocain à divorcer les uns des autres, est symptomatique de cette crises la chute. La discontinuité a donc fini par appauvrir la scène théâtrale. Le public marocain n'a pas été très gâté en spectacles et le chômage sévit parmi les comédiens et les techniciens qui écument les cafés. Si ce n'est la rue.