Dans cet entretien, Touria Aarab, membre de l'exécutif de la Confédération africaine de volley, présidente fondatrice de la section volley-ball au WAC et ex-membre de la FRMVB, nous dresse l'état des lieux de l'évolution de la présence de la femme dans le sport. Elle juge que la femme marocaine est encore sous-représentée dans les instances de décision sportive, mais aussi au niveau de la pratique. Al Bayane : Depuis longtemps, les femmes ont été quasi-absentes de la sphère décisionnelle dans le domaine du sport. Qu'en est-il aujourd'hui ? Touria Aarab : Malheureusement, il n'y a pas eu de grands changements. Alors que dans plusieurs secteurs, le Maroc a connu des avancées intéressantes, le sport est resté le mauvais élève. Il y a eu récemment plusieurs études et constats qui sont même alarmants. Sur les quarantaines fédérations existantes, aucune femme n'est présidente. Pire encore, la gente féminine est quasi-absente même des bureaux dirigeants. Sur les cinq grandes fédérations de sport collectif (football, basket-ball, volley-ball, handball, rugby), seulement deux femmes sont dans les instances dirigeantes, dont une n'a pas été élue. Plus grave encore, la sous-représentativité des femmes touche également et surtout les ligues. Il n'y a pas de femmes ou presque dans les ligues sportives. Même chose pour les clubs où rare sont les femmes qui occupent des postes de responsabilité. Au volley-ball, il y a trois femmes, dont une présidente, dans les instances dirigeantes de 47 clubs. Au foot, comme au rugby et au handball, il n'a y aucune femme à la tête d'un club. Et rare, sont celles qui occupent des postes de responsabilité. Les staffs techniques et même médicaux n'y échappent pas car, eux aussi connaissent ce que j'appelle une discrimination inconsciente des hommes envers les femmes. Ce genre de problème existe-t-il aussi au niveau de la pratique ? Hélas oui. J'ai fait un simple calcul dont le résultat risque d'être aussi surprenant qu'effrayant. Dans les sports collectifs, le pourcentage des filles pratiquantes est de l'ordre de 11% seulement. Ce chiffre concerne uniquement la catégorie des séniors. Quand aux catégories minimes, cadettes et juniors, le pourcentage est de 0 %. Ces catégories n'existent tout bonnement pas. Alors comment voulez-vous qu'on ait des équipes nationales compétitives si la base est inexistante ? Les résultats, on les a d'ailleurs vu lors des championnats d'Afrique de basket-ball où l'on était classé dernier. Au volley-ball, les marocaines n'ont même pas été présentes. Même le foot, sensé être une locomotive du sport national, n'a pas réservé une place pour ces catégories féminines. Le championnat féminin certes existe, mais sans qu'il y ait des minimes, des cadettes ou même des juniors. Du coup, on se rabat sur les internationaux. Il s'agit d'une solution de court terme. Dans les sports individuels, il y a aussi l'absence de parité, mais à un degré un peu moindre. Pourquoi les femmes sont sous-représentées dans le sport ? Il y a plusieurs raisons derrière cette ségrégation de la gente féminine. Le principal facteur est avant tout l'absence d'une politique générale d'Etat. Il n'y a pas une vision claire en faveur d'une approche genre. Il y a aussi un problème de formation. Il y a peu de cadres féminins au sein des clubs ou encore des fédérations. Il y a actuellement un manque de femmes qui ont un cursus académique dans le domaine du sport. Autre grand souci, le système éducatif dégringolant. Les programmes sport-étude, qui n'existent plus chez nous, permettent aux jeunes filles de sortir de l'ombre, d'exercer une discipline sportive et y exceller. L'absence de sections féminines au sein des clubs est également un handicap. Et les premiers responsables sont, bien entendu, les clubs, mais aussi les fédérations qui privilégient les résultats uniquement. Du coup, les budgets consacrés aux équipes féminines sont maigres. Alors qu'au niveau réglementaire, le Maroc a connu des avancées majeures avec notamment l'introduction de la parité dans la nouvelle constitution (article 17). Il y aussi la loi sur le sport (30-09) qui garantit également la parité des deux sexes. Que faut-il donc faire pour remédier à ce problème de sous-représentativité ? Il faut que l'actuel ministre de la Jeunesse et des Sports mette dans son programme l'approche genre. Il doit élaborer une stratégie afin de réactiver l'application des lois en vigueur et surtout les recommandations du CIO, dont le Maroc a organisé le 3e congrès « femme et sport » à Marrakech en 2004. Il faudra aussi penser à créer une commission nationale « femme et sport » qui chapotera des commissions féminines au niveau des fédérations. Et il faut que la création de ces commissions soit obligatoire et quelle soit effective et non pour la forme.