«Dialectique de la raison et de la cité dans la philosophie arabe» est un nouvel ouvrage du philosophe Mohamed Mesbahi, qui repose la question de savoir comment est-il possible pour les pays arabes d'entrer de plain-pied dans la modernité à l'heure de la mondialisation tout en puisant dans leur patrimoine. Présentant mercredi à Rabat son ouvrage paru en langue arabe sous le titre «Jadaliyat Al Akl Oua Al Madina Fi Al Falsafa Al Arabiya», Mesbahi a d'emblée fait savoir qu'il s'agit en fait d'une tentative de revisiter l'œuvre de grands philosophes marocains dont en premier lieu Mohamed Aziz Lahbabi et Mohammed Abed El Jabri, laquelle œuvre marque le passage d'une phase métaphysique à une nouvelle époque fondatrice de la modernité dans le monde arabe. Mesbahi y interpelle également l'œuvre philosophique d'Abdellah Laroui, Hussein Mourwa, Nacif Nassar et Mohamed Arkoun, dont l'héritage montre de manière claire la richesse de la pensée philosophique arabe en tant que patrimoine universelle. Revenant sur le choix du titre, il l'a développé notion par notion expliquant qu'il s'agit de la dialectique de la raison en tant qu'instrument de travail et de la dialectique de la cité: Etat et pouvoir. Selon le philosophe, les deux concepts butent dans le monde arabe sur des crises qui n'en finissent pas d'entraver le développement des pays arabes vers la modernité. Et c'est en rendant à la raison ses lettres de noblesse pour en faire un outil de pensée et d'innovation qu'on promeut l'Etat à un rang meilleur au service d'une société plus intelligente et donc plus démocratique, a-t-il fait savoir, affirmant que le moyen le plus approprié pour sortir de l'état arriéré pour aller vers la démocratie est de s'appuyer sur la raison et la réflexion libre. C'est ce qui justifie d'ailleurs le choix des philosophes cités dans l'ouvrage de Mesbahi, qui affirme qu'il s'agit de grands philosophes de la modernité, qui consacrent chacun, selon sa vision un traitement particulier au legs des anciens et au patrimoine. Deux conceptions sont développées à ce sujet: il y a ceux qui appellent à couper court avec le patrimoine pour aller se jeter les maisn vides dans la modernité et d'autres qui estiment qu'il est difficile, sinon impossible de tout moderniser sans exploiter ce que recèle le patrimoine arabo-musulman. C'est ainsi que Mesbahi consacre dans son ouvrage toute une partie à la «prière Machichia» de son auteur Moulay Abdessalam Ben Machich et à l'héritage d'Abderrahmane El Majdoub, deux grands représentants de la phase entièrement métaphysique au Maroc: tout est au service de Dieu et l'être humain doit trouver son bonheur dans l'obéissance et l'acceptation volontiers de son état d'esclave du Tout puissant. Les soufis de l'époque et les deux cheikhs faisaient l'éloge de la soumission totale et de la dilution de la personne dans l'amour du créateur. Le mérite de Aziz Lahbabi c'est d'avoir saisi la portée de cette phase pour engager la philosophie sur une nouvelle piste, qui constitue en fait une véritable révolution ayant fait de l'être humain un acteur qui participe à sa propre libération de l'emprise totalitaire de cette philosophie d'antan. Au cours de cette période, le philosophe Abd Jabri a entamé une nouvelle réflexion sur le rôle de la collectivité, qui doit s'affirmer en tant que telle dans la gestion de ses affaires, réflexion qui trouve son écho dans les œuvres de Laroui et d'autres sur l'historicité et les écrits sur la pensée arabe dans son ensemble. Au-delà de cette traçabilité explicitée tout au long de son ouvrage, Mesbahi s'insurge contre les nouvelles tentatives de cette Réaction qui appelle au retour aux sources pour s'y abreuver et se contenter des promesses qui y sont minutieusement décrites en bloquant toute sortie vers la modernité et la démocratie. A l'ouverture de cette cérémonie, initiée par la section de Philosophie relevant de la faculté des lettres et des sciences humaines (Université Mohammed V Agdal), le président de ce département, Mohamed Noureddine Afaya, a indiqué que la thématique abordée par Mesbahi est d'actualité en ce sens qu'elle porte sur une question identitaire très sensible. Pour sa part, le chercheur Mohamed Tahzima a fait part de son interprétation de cette œuvre de Mesbahi, lequel compte déjà une série de publications et d'ouvrages, qui font de lui un véritable spécialiste de l'idéologie arabe et islamique.