Hors champ Un montage inédit entre deux films estampillés «marocains» en cette journée embellie par une magnifique pluie. «Traitors» de Sean Gullette et «C'est eux les chiens» de Hicham Lasri. Le premier postule à l'Etoile d'or en tant que co-production Maroc-USA; le second est projeté dans le cadre de la section Coup de cœur dédiée cette année au cinéma Maroc. Un débat extra-cinématographique a porté sur la marocanité de tel film ou de tel autre. Question récurrente dans le champ du cinéma sans qu'elle soit tranchée définitivement dans un sens ou dans l'autre. Une certaine élasticité marque le sujet permettant aux uns et aux autres d'adopter la définition qui convient au contexte. Certes, il y a bel et bien deux tendances qui orientent les choix et aident à préciser des critères de détermination de la nationalité d'un film. Il y a l'approche anglo-saxonne, disons surtout américaine qui part de la couleur de l'argent : c'est la nationalité de la production qui dit la nationalité du film. En face, il y a l'école européenne, française à l'origine, qui elle privilégie la piste de l'auteur, du réalisateur. Un film est renvoyé à la nationalité du cinéaste. C'est la démarche adoptée par la profession du cinéma au Maroc qui met en avant la nationalité du cinéaste pour décréter la nationalité du film. J'aime toujours rappeler le cas extrême de «Marock» de Laila Marrakchi qui a été inscrit à Cannes en tant que film marocain (la nationalité de la réalisatrice) et a été distribué commercialement au Maroc en tant que film... français (il n'y a aucun dirham marocain dans le film). Débat absurde à l'âge de la mondialisation. D'ailleurs, le générique de chaque film porte aujourd'hui une multitude de références nées de la variété des guichets de financement. Il y a six films marocains au festival de Dubaï d'abord parce qu'ils ont bénéficié d'un financement du festival lui-même. Des films portent la nationalité de deux, voire trois pays, ayant participé à sa production. C'est le cas de «Traitors» présenté comme maroco-américain. Le problème n'est pas là. Ce que nous demandons à un film, c'est comment il illustre son appartenance à son identité fondatrice, le cinéma. Le film de Gullette met de son côté un scénario nourri d'éléments dramatiques inspirées de la ville de Tanger et nourri de références, volontairement ou non, à des films qui ont marqué la ville du détroit ces dernières années. Il y a quasiment une filiation génétique à «Sur la planche» de Laila Kilani et «Malak» de Abdeslam Kelai par la présence deux actrices qui ont porté ces films : Chaimae ben Acha (Malak chez Kelai, Malika chez Gullette et Soufia Issami la sublime Badiaa de Kilani devient Amal chez Gullette). La question devient alors, du point de vue esthétique et de la mise en scène, de nature stratégique : comment filmer Tanger sans verser dans le cliché. Dans sa démarche globale, le film confirme l'émergence d'une tendance que je qualifie du cinéma post-Casanégra : au niveau du traitement esthétique de la ville, de la présence d'un background social surchargé et des personnages qui cherchent à fuir : au sens physique et symbolique, vers un ailleurs. Le film de Hicham Lasri, «C'est eux les chiens» offre une démarche originale porté, me semble-t-il, par le souci de ne pas s'enfermer dans un schéma qui peut être un cliché visuel ou dramatique. Il brouille les pistes à plusieurs niveaux en récupérant les signes et les dispositifs dominants pour les retourner dans une perspective cinématographique originale : il met au centre de sa démarche de mise en scène l'élément de base de captation des images aujourd'hui, le reportage télévisé. Il y gagne doublement ; dans le rapport qu'il établit avec son sujet et dans le rapport avec l'environnement. Le regard caméra est banalisé, n'est plus une tare à éviter puisque nous sommes dans un reportage télé et la direction d'acteur se fait on live, en direct. L'acteur justement avec cette nouvelle prestation époustouflante de Hassan Badida. Nous y reviendrons.