En Tunisie, mère-patrie du printemps arabe, les islamistes sont en train de suivre le même cheminement que leurs homologues égyptiens. N'ayant à aucun moment contribué, ni de près ni de loin, aux révoltes populaires qui ont abattu les dictatures locales, ils sont en train de tenter de s'approprier les fruits de cette révolution. Mal les en prendra. La manifestation monstre du 30 juin dernier au Caire, pour protester contre la dictature que les Frères musulmans étaient en train de tisser savamment sur les bords du Nil, en est une bonne démonstration. Tout le monde aurait aimé que cette bronca populaire ait convaincu le frérot Mohamed Morsi de jeter volontairement l'éponge à temps, plutôt que de laisser l'armée lui reprendre d'une main ce qu'elle lui avait gracieusement donné de l'autre. En Tunisie, un nouveau scénario est en train de se tramer. Alors même que la lumière n'a jamais été faite sur l'assassinat, le 6 février dernier, du militant de gauche, Chokri Belaid, voilà qu'un autre homme politique, Boubaker Hakim, parlementaire de son état et chef de parti de surcroit, est abattu de 14 balles, en plein jour et en pleine rue. Chokri Belaid et Boubaker Hakim sont désormais les deux seuls cas de meurtres politiques que la Tunisie postindépendance à enregistrés. Jamais Habib Bourguiba, ni même Zine El Abidine Ben Ali, pourtant féroce face à ses adversaires politiques, n'ont osé, durant plus d'un demi-siècle de pouvoir, aller jusqu'à commanditer l'élimination physique d'un opposant, aussi farouche soit-il. Face à cette nouvelle dérive, la Tunisie a manifesté, ce vendredi 26 juillet, son dégoût pour les méthodes scabreuses à travers lesquelles le mouvement islamiste local est en train d'ensanglanter la verte Tunisie. En effet, le mouvement Ennahda, et son chef Rached Ghannouchi, sont désormais nommément indexés par la rue tunisienne dans les assassinats, les attaques sanglantes, voire les intimidations dont font l'objet ces derniers temps, et à titre particulier, les militants tunisiens de gauche. Ironie du sort, la même arme qui a tué Chokri Belaid est la même que celle qui a servi à assassiner Boubaker Hakim, selon les premiers résultats des analyses balistiques. Et dire que la villa cossue de Rached Ghannouchi, bien gardée en toute heure par un imposant dispositif sécuritaire officiel, est à un jet de pierre de la maison de Boubaker Hakim ! Et que ce dernier préparait sa démission fracassante de l'Assemblée nationale constituante, pour exprimer son refus de voter ce qui a appelle déjà «une constitution destinée à ancrer une dictature islamiste» en Tunisie, tout en se retirant du Mouvement du peuple qu'il a fondé car «Ennahda a infiltré cette formation et provoqué une scission en son sein». «Le peuple veut la chute du gouvernement», «C'est aujourd'hui qu'Ennahda doit tomber», ont scandé ces manifestants, dont la plupart sont affiliés à la puissante centrale syndicaliste tunisienne (UGTT), en grève vendredi, et dont le leader historique, Ferhat Hached, a été lui aussi assassiné avant l'indépendance du pays.