De leur quartier de Ladbroke Grove (Ouest de Londres), qu'ils surnomment affectueusement «Little Morocco», les Marocains de Londres subissent, comme tous les Britanniques, les affres d'une grave crise économique qui affecte le Royaume-Uni depuis 2008, tout en portant un regard optimiste sur leur pays d'origine. «La vie devient de plus en plus dure en Grande-Bretagne», lance Ahmed, un commerçant de ce district relevant du borough de Westminster et Chelsea où se côtoient des minorités marocaine, portugaise et latino-américaines. La modeste avenue de Ladbroke Grove porte bien son appellation de «Little Morocco». Plusieurs commerces, gérés par des Marocains, proposent des produits du terroir, et un bazar, certes modeste, rapproche ces compatriotes de la chaleur du pays. En cette matinée au froid glacial, Ahmed s'activait à ranger le petit commerce de légumes qu'il gère. «Les clients se font de plus en plus rares, en raison de la crise», indique-t-il, faisant allusion à l'érosion du pouvoir d'achat visible dans cette localité, nichée à la périphérie des quartiers huppés de l'ouest de Londres. «Nous arrivons à peine à joindre les deux bouts», indique Ahmed, qui se rappelle, avec une amertume apparente, des années fastes que le Royaume-Uni avait connues de 2000 à 2007, avec une forte croissance économique traduite par une prospérité manifeste. Comme tous les autres commerçants de Ladbroke Grove, Ahmed se plaint de la hausse des taxes, qui réduit la marge de bénéfice et pénalisent des commerces déjà de fortune. Le malaise social est apparent dans cette localité, où les gens n'hésitent pas à évoquer leurs problèmes, accentués par les mesures draconiennes d'austérité mises en œuvre par le gouvernement, sabrant notamment les fonds d'aide sociale. «La communauté marocaine, tout comme les autres communautés britanniques, souffre de cette situation», indique à la MAP M. Driss Boumzough, coordinateur du Moroccan Community Project (MCP), une association mise en place en 2009 pour promouvoir les capacités des membres de la communauté marocaine, en particulier les générations montantes. L'activiste explique la situation précaire de la majorité des membres de cette communauté de Ladbroke Grove par le faible niveau d'éducation. La majorité des Marocains de cette communauté est composée de personnes presque sans formation qui se sont établies au Royaume-Uni entre les 1950 et 80. Malgré la modestie de leurs moyens, certains membres de cette communauté sont parvenus, avec les moyens de bord, à aider leurs enfants à se frayer un chemin au sein d'une société britannique certes tolérante et ouverte, mais combien exigeante. Mme El Ghafouli Zoubida en est un exemple. Disposant d'une formation en langue française, Mme El Ghafouli a réussi à décrocher un poste, même si temporaire, en tant qu'institutrice de la langue de Molière dans une école britannique. Membre actif de la communauté de Ladbroke, Mme El Ghafouli se plaint du chô_mage devenu rampant parmi les jeunes marocains de l'ouest de Londres, relevant que l'augmentation des frais universitaires a obligé plusieurs jeunes marocains à abandonner le rêve de poursuivre leurs études pour aller chercher des postes d'emploi en-decà de leurs aspirations. Or, le tableau n'est pas totalement sobre. En dépit des difficultés économiques, une communauté considérable de jeunes cadres marocains a réussi à s'imposer avec force dans le secteur très sophistiqué de la finance, sont les grandes banques de la place financière britannique, dont Barclays et HSBC, qui comptent parmi leur gotha de jeunes banquiers marocains, bénéficiant d'une formation pointue qui leur a permis de percer. Ces professionnels peuvent servir, comme l'a indiqué M. Boumzough, de modèle pour les autres jeunes, issus de milieux moins avantagés. Pour ce faire, Boumzough appelle à davantage de synergie entre les différentes composantes de la communauté marocaine de Londres, pour une meilleure interaction. Le Maroc, source d'espoir Quelle que soit leur situation sociale, confortable ou précaire, les Marocains de Londres portent un regard optimiste sur leur pays d'origine, un optimisme conforté par les avancées que le Royaume ne cesse de réaliser sur la voie du développement politique et économique. «Les pas franchis par le Maroc mettent du baume au cœur», indique Mme El Ghafouli, qui suit, comme tous les autres expatriés marocains en outre-manche, avec enthousiasme l'évolution positive et porteuse d'espoir de leur pays. Se réjouissant du choix fait par le nouveau gouvernement marocain, issu des élections législatives du 25 novembre 2011, de placer les Marocains résidant à l'étranger (RME) au cœur des priorités de son action, attendent du nouveau cabinet d'être plus à l'écoute aux attentes d'une communauté déterminée comme toujours à apporter sa contribution, aussi modeste soit-elle, aux efforts de bâtir un Maroc nouveau, sous la conduite de SM le Roi Mohammed VI. «Nous souhaitons voir le nouveau gouvernement procéder à une nouvelle évaluation des besoins des RME», indique M. Boumzough, qui plaide pour une action axée essentiellement sur l'enseignement et la préservation de l'identité des RME et leurs liens indéfectibles avec la mère-patrie. Une action sociale en profondeur est nécessaire pour accompagner ces ressortissants, en particulier ceux vivant dans des situations précaires, ajoute l'activiste, qui souligne que les RME doivent, de leur côté, s'organiser davantage dans le cadre d'associations pour mieux faire entendre leur voix. «L'avènement de tout nouveau gouvernement suscite des espoirs», s'accorde Mme Souad Talsi, membre du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger et présidente du centre Al-Hassaniya de la femme marocaine à Londres, soulignant que ces espoirs doivent être confortés par des mesures pratiques de la part du nouveau gouvernement. La déclaration gouvernementale présentée récemment devant le Parlement par le Chef de gouvernement, M. Abdelilah Benkirane, donne une idée globale de l'action que le nouveau cabinet entend entreprendre en faveur des RME, indique-t-elle, appelant à donner le temps à ce gouvernement pour traduire dans les faits ses engagements. Se disant confiante dans l'avenir, l'activiste a indiqué qu'elle s'attend à un changement au niveau de la gestion de la chose publique au Maroc, avec un engagement clair en faveur du renforcement de la bonne gouvernance. Pour ce qui est du dossier spécifique de l'immigration, Mme Talsi a appelé à abandonner ce qu'elle a qualifié de «traitement folklorique» de cette question, pour traiter les RME en tant que véritable communauté d'expatriés qui peuvent être de «réels ambassadeurs» du Maroc à l'étranger. L'émergence de nouvelles élites au sein de cette communauté, dont les jeunes cadres de la City (quartier financier de Londres), montre à l'évidence la nouvelle dynamique de l'immigration marocaine, enchaîne-t-elle, ajoutant que la communauté marocaine de Grande-Bretagne, en dépit de sa taille modeste par rapport à celles résidant dans d'autres pays, peut jouer un rôle efficace sur les plans politique et économique.