Fabrique du corps, fabrique de l'identité L'Homme a toujours accordé une grande importance au corps. Il a de tout temps chanté sa beauté et rejeté sa laideur, loué sa force et méprisé sa faiblesse. Le corps servait dans un passé révolu d'élément discriminatoire, tant il faisait le distinguo entre les différentes couches sociales. En effet, les fameux contes de Charles Perrault consacrent cette réalité dans la mesure où les hautes gens de la société, princes et princesses entres autres, sont présentés sous de très bons dehors. A contrario, les misérables sont affublés de tous les qualificatifs négatifs. Le cas de la belle-mère de Blanche- Neige demeure à cet égard très révélateur. Celle-ci, non sans inquiétude, interpelle le miroir et l'interroge ainsi sur sa beauté : «Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle ?» La physiognomonie, en tant que discipline, affirme que le physique est déterminant quant aux spécificités morales et sociales de l'individu. Or, les recherches scientifiques dans les domaines médicaux et diététiques ont certainement favorisé la naissance d'un nouveau corps, presque à l'abri des affections et des tares. Aussi la longévité s'est allongée sensiblement et cela a permis à l'Homme moderne d'habiter davantage son corps. Michel Serres parle d'Homme bionique. Eu égard aux performances acquises par le nouveau corps, ce grand philosophe des sciences estime que l'Homme a bien fait cheminer son corps de la nécessité au possible. En Occident, les premiers signes de la libération du corps ont émergé, de l'avis de nombre de sociologues, dans les 70. Des corps nus envahissent l'espace public, réellement dans les plages, dans les affiches publicitaires et dans certains magazines dédiés à la mode, au cinéma et au mannequinat. Cela est imputable aux différents changements advenus dans la société, aux mutations foncières ayant touché le système de valeurs, non seulement morales et idéologiques, mais aussi économiques et politiques. Les idées freudiennes ont pu infléchir le discours de l'église, contraire à toute forme de libération du corps. Progressivement, l'injonction d'être bien dans son corps s'est affermie grâce aux idéaux hédonistes préconisant, outre la libération du corps des carcans de la morale, sa prise en charge esthétique. En effet, la chirurgie esthétique, les salons de coiffure, les salles de sport et les diètes sont devenus les possibles voies vers la perfection du corps, les armes contre ses moindres imperfections. Le corps est devenu, selon les termes de Jean Baudrillard, un objet de consommation. C'est l'idée exprimée dans son texte intitulé : «La société de consommation» (Denoël, 1970). Il ressort des analyses de ce chercheur qu'après de longs siècles de puritanisme, «le corps hypostasié est devenu le mythe directeur d'une éthique de la consommation». Le corps a partie liée avec le statut social. Sa fétichisation se fait selon un processus allant «de l'hygiène au maquillage, en passant par le sport et les multiples libérations de la mode, sa redécouverte passe d'abord par des objets». Le corps devient un objet qui a généré toute une économie basée sur l'industrie de la mode. Cette dernière promet aux hommes et aux femmes de ressembler à telle ou telle star ou, tout bonnement, de se créer une identité choisie et fantasmée. Vu l'individualisme marquant les temps présents, chacun essaie de livrer, à travers son corps, une image de soi-même. Chacun se donne les moyens d'entretenir son enveloppe charnelle. Nutrition, sport, coiffure, esthétique, chirurgie sont autant de formes d'identités bricolées. Tout concourt à garantir beauté et jeunesse, sveltesse et élégance. Cela ressemble, à bien des égards, à un combat privé et collectif du corps contre tout ce qui est à même de le faire échiner ou dénaturer. Des habitus en relation avec le corps s'uniformisent de plus en plus, à tel point que les spécificités individuelles sont noyées dans des moules standardisants. C'est dire que le corps est représenté de la même manière. En Occident et ailleurs.