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Ecrits de Paris
Une façade destinée
Publié dans Albayane le 18 - 03 - 2013

Curieux effet. Curieuse image. Ouvrir la fenêtre de sa chambre d'hôtel et ne trouver qu'un long mur face à soi ! Une façade avec des fenêtres condamnées d'un immeuble à deux étages inoccupé, désert et abandonné.
Des briques grisâtres, humides et sales tenaient lieu de vitres. La porte d'entrée au rez-de-chaussée avait des carreaux cassés ou noirs de saleté. Mais cela ne m'a nullement gêné et je ne me sentais pas rebuté ni indigné. Il m'a intrigué au début durant un bref moment, sans plus. Je l'ai longtemps contemplée de toutes parts, cette façade. Cela signifiait quelque chose. Le fait d'être là contre toute attente et en plein milieu de Paris, je voulais y voir un signe d'une portée symbolique. Malgré sa situation de façade déjouée et vouée à l'inertie et à la longue attente dans une bâtisse borgne couverte de silence et de vide, cette ambiance sans vies ni avenir.
C'est au fond de l'étroite rue Godefroy Cavaignac. Une ruelle propre et silencieuse où j'aurais aimé voir la nuit quand je rentrais à l'hôtel des fenêtres ouvertes et éclairées, sentir des vies derrière les vitres et de petits mondes intimes au-delà des rideaux à demi retirés. Comme au cinéma. Surprendre des coups d'oeil, des moues ; puis se poser des questions furtives et délicieuses. J'aurais fait semblant de ne rien voir. N'être qu'un homme accoudé au bord métallique d'un petit balcon en train de parcourir du regard les mouvements nocturnes environnant avant d'aller se coucher. Cette nuit parisienne intime et dérobée.
Après, j'ai lancé des regards du côté droit puis du coté gauche en prenant à chaque fois tout mon temps. Comme si j'attendais, avec une conviction inexpliquée, des faits susceptibles d'arriver sans être capable de savoir lesquels. Puis je suis retourné à mon mur. Le vent fouettait mes joues. J'ai essayé de discerner quelque chose de vivant, d'attirant. Rien. Des vitres sombres et des boutiques closes. Parfois de la lumière jaillissait via des étincelles furtives concurrençant celle de la ruelle. Celle-ci longue et presque infinie embrassait une grosse touffe d'arbres sombres au loin vers le boulevard. Des questions se posaient puis disparaissaient aussitôt. Des monologues qui avaient l'apparence de questions, des sensations intimes qui pouvaient se formuler en phrases interrogatives. A la fin, je me suis dit : pourquoi j'ai atterri dans cet hôtel et dans cette ruelle et face à ce mur ? Tout cela a abouti à un constat flagrant : ma solitude s'était accrue. Une solitude de nuit sans aucun lien avec mes solitudes antérieures et Dieu sait que j'en ai vu de toutes les couleurs et tous les aspects. Ma solitude parisienne de cette nuit-là ne fut pas noire.
Loin de là. Ce mur destiné me l'a bien fait comprendre. On dirait que j'étais imprégné par une situation indécollable liée à mon esprit et non à mon corps. J'ai fermé les yeux un instant pour me prouver que cet état était faux, sans résultat. Ma solitude persistait.
Ce constat est devenu plus clair et évident lorsque je me suis retourné pour appuyer un regard profond du côté gauche. Là, de la lumière cadrait toute une fenêtre avec balcon par-dessus un petit carrefour. C'était au deuxième étage d'un ancien immeuble qui fait le coin de la rue de Charonne et la rue Faidherbe. Des hommes et des femmes s'agitaient derrière des rideaux illuminés mais j'étais incapable de dire ce qu'ils faisaient au juste.
Comme si j'avais un écran dressé en biais qui me renvoyait des gestes et des figures. De la vie indistincte. Un théâtre d'ombres. Au-dessous, une pâtisserie sombre et un café, « La Méditerranée » encore ouvert. J'y ai pris un verre l'après-midi. Les gérants sont algériens, je crois. Je les ai entendus parler Kabyle assis à la terrasse devant une petite théière et ils sirotaient leur thé à la manière de nos autres marocains. Doucement et avec délectation. Maintenant et à la même table, je voyais des têtes blondes, des lèvres molles, des gestes de bras indolents, des mâchoires qui mastiquaient et de la fumée des cigarettes qui s'envolait dans les airs. Une scène de vie d'une fin de soirée. Un diner banal à une terrasse au fond d'un immense silence. J'ai senti un heur fantastique ronger mon ventre telle une petite tornade de légères sensations. Mélancolie que ça s'appelle, mais pour un homme qui vit par l'écriture de la vie. Après avoir regardé un long moment, accoudé à mon balcon, la tête penchée, l'esprit évasif, je me suis retourné pour me voir moi-même.


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