Il était 2h30 «de la nuit», comme on dit chez nous. Je dormais et ON m'a réveillé. «ON»- je l'ai su plus tard - ce sont 4 ou 5 trop jeunes petits garçons qui, au lieu d'être bien au frais dans leur lit douillet, comme vos gamins ou comme les miens, criaient à tue-tête à qui ne voulait pas les entendre, qu'on les avait chassés de «chez eux», qu'on les avait mis à la porte de leur «villa», pour les jeter dans une autre «villa», pas loin de la «leur», certes, mais qui, elle, n'avait ni portes, ni fenêtres, ni mêmes de murs, car, en fait, ce n'était plus qu'un terrain vaguement vague qui servait de parking sauvage le jour et d'auberge à ciel ouvert la nuit. Je n'ai pas su tout ça sur le coup, ni en un seul coup. Il a fallu d'abord que je me lève, que je remonte le rideau, que je sorte à mon balcon, que je dérange le couple de pigeons qui roucoulait en se la coulant douce et à mes frais, et enfin, que je tente avec mon regard en plongée et brumeux, de comprendre qui gueule comme ça à cette heure-là, et pourquoi en bas de chez moi et pas là-haut chez «eux». N'ayant eu aucune réponse claire, j'ai pris mon courage à deux jambes, et je suis descendu sur les lieux où m'attendait de pied ferme et de langue pendue notre veilleur de nuit qui, lui aussi, le pauvre, avait été dérangé dans son sommeil profond, alors qu'il était censé veiller sur nous, mais ça, c'est une autre histoire. Et c'est grâce à lui que j'ai appris tout ce que je vous ai conté plus haut et tout ce que je vais vous raconter plus bas. En réalité, les petits chenapans insomniaques et gueulards étaient, et le sont toujours, ce qu'on appelle «des enfants des rues». Cette appellation si poétique est un raccourci politiquement correct qui permet aux responsables, c'est-à-dire, à nous tous, de se dédouaner à moindres frais. En gros, selon nous, un «enfant des rues» c'est un gosse qui a choisi délibérément de vivre loin de son chez lui, si un chez lui il avait, parce qu'il aime la vie en plein air et à la belle étoile. Quant aux chenapans qui m'ont réveillé, j'ai appris cette nuit-là qu'en fait, ils ne sont pas quatre ou cinq, mais une bonne dizaine, âgés entre huit et douze ans, et qui jusqu'à la veille, passaient la nuit dans une grande villa délabrée et délaissée depuis des lustres, et de laquelle ils avaient été chassés par des jeunes plus vieux et plus costauds qu'eux, qui avaient décidé de s'approprier de force cette «prestigieuse demeure» où demeurent, par ailleurs, d'autres voyous de divers gabarits. Alors, les malheureux gamins n'ont rien trouvé d'autre que d'élire domicile dans l'ex-autre villa – parking – auberge, située, hélas, dans notre rue. Maintenant au-delà de cette contrariété, ma foi, personnelle, je voulais vous informer que les deux «villas» en question sont connues depuis longtemps de tous les «services», que l'une se trouve en plein Boulevard d'Anfa, adossée à un grand hôtel, et l'autre, juste derrière le siège d'une grande commune dont je vous laisse deviner l'identité. Un dernier indice : tout ça est à deux pas d'au moins trois grands consulats. À part ça, vraiment, il n'y a rien à signaler...