La promenade des corneilles près de la tour Eiffel Voilà ce cachet français, cet emblème qu'est la tour et qu'il fallait voir de près pour passer à autre chose. Aux dires de certains et aussi étrange que cela puisse paraître, la tour n'a jamais été une attraction parisienne favorite. C'est pourquoi j'ai vu autre chose quand je m'en suis approché. Voir Paris d'en haut ne m'intéressait pas, la vue aérienne ne pouvait guère me procurer le plaisir escompté. C'est mieux parfois de ne pas être un homme des hauteurs ; de voir ce qui correspond à sa propre taille terre à terre afin de mieux évaluer ces mêmes hauteurs. Apprendre les vérités de l'espace par contre-plongée. Par bonheur dans cette ville, il faut sans cesse lever les yeux. Et on en a pour sa patience et son attente. Mais avant d'y arriver, j'ai longé la chaussée à pas lents. Sans se presser. En arrivant au quai Branly, j'ai eu la surprise de me trouver dans la partie arrière du jardin public tout près de la tour. Une entrée en terre battue. Après avoir dépassé la partie mouillée, la première chose remarquée fut la vue de trois jeunes vigiles en tenue de para, un fusil militaire bien calé conte la poitrine. Ils scrutaient attentivement les recoins du jardin, du côté des buissons touffus. J'ai su que la Tour Eiffel était réellement un symbole. Du coup, ce «fer et acier » m'est apparu d'une majesté inexplicable. Son utilité crée l'utilité. Voilà l'idée majeure qu'elle offre et met en évidence. Et ce à partir du fait qu'elle est un assemblage dressé avec calcul dans le ciel. J'ai marqué un temps d'arrêt pour saisir le sens. Puis j'ai déambulé à travers les allées arrosées sans se presser, sans se hâter d'aller voir la tour de près. Et là, autre chose m'a attiré et m'a intrigué. Laisser ce qui est en vue pour s'intéresser à un détail fortuit, anodin, délaissé. Déformation professionnelle de toujours. Le détail : les oiseaux du jardin. Des oiseux noirs qui picoraient, sautillaient, dispersés sur l'herbe. Tranquilles et nullement effrayés par les pas proches et les pieds des visiteurs. À première vue, j'ai cru que c'étaient des corbeaux. Non, ce sont des corneilles, m'a dit un monsieur d'un certain âge à qui j'ai posé la question pour en avoir le cœur net. Un brin de causette inattendu a suivi, à l'ombre géante de la tour. Avec lui et une dame qui l'accompagnait. Tu n'es pas d'ici ? Non, je suis de Casablanca. Ah ! Du Maroc ! Quelle belle coïncidence, moi je suis natif de Meknès, mon père y était notaire au temps du protectorat. Un ton fort nostalgique, un regard bienveillant, de l'estime. Quelques minutes ailées d'un dialogue pointé de souvenirs d'une très amicale teneur. Il y a beaucoup du «Maroc» à Paris ! Le couple parti, je suis resté à rôder autour des corneilles, les cousins des corbeaux d'ailleurs. Cette couleur si brillante de noirceur, dans ce lieu très prisé, a occupé mon esprit durant un long moment. C'était de bon augure et je voulais y voir un signe particulier, un fait qui pourrait m'apporter des idées, des mots ou une série de petites phrases littéraires. On ne sait jamais. Car être tout près de la Tour Eiffel un jour de pluie estivale et trouver une couleur noire qui vivait et sautait n'est pas pour déplaire à une âme tourmentée par l'écriture et à qui la vie n'est qu'un prétexte pour la faire durer ailleurs, chargée de sentiments et de faits confondus. Les corneilles de la tour sont une combinaison attrayante. Cela rend la visite éternelle, pleine de signification et d'émotion. Elle était enregistrée dans un canevas et de ce fait, elle perdait de sa teneur un peu bébête «touristiquement». Ainsi le reste de la promenade a pris un autre tournant. Je me suis trouvé sous ce gigantesque et infini enchevêtrement de barres de fer et d'acier, sous une infinité de morceaux de ciel. J'ai levé la tête, à la renverse complète, et j'ai regardé durant quelques minutes d'un léger vertige ce haut perché. Je n'ai pas admiré. J'ai capté le vide et la plénitude d'un moment. Je fus comme capté. Mais ça n'a duré qu'un moment furtif à vrai dire, car je suis parti martelant et raclant le sol mouillé entouré de touristes allemands, espagnols, japonais, de vendeurs de souvenirs de la tour, hindous et africains. Aucun français de souche ! J'ai pensé à ces parisiens qui, parait-il, n'ont jamais vu la tout Eifel que de loin, suspendue aux nuages. Je ne suis pas le seul à ne pas trop m'accrocher!