Plaidoyer pour un devoir d'ingérence L'espace sahélo-saharien est, depuis quelques années, sous les projecteurs des observateurs. Une telle attention est due principalement à la médiatisation outrancière de cette zone, faisant d'elle une région qui attise les craintes face à la montée du risque sécuritaire. Géographiquement, cet espace s'étend des rives de l'Atlantique jusqu'à la Mer rouge. Malgré que la délimitation du Sahel demeure très variable dans les différentes conceptions doctrinales, cette ceinture semi-aride recouvre, en principe, entièrement ou partiellement : le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, l'extrême sud de l'Algérie, le nord du Burkina Faso, le Niger, l'extrême nord du Nigéria, le Tchad, le centre du Soudan et la Cap-Vert . On y ajoute parfois : l'Ethiopie, l'Erythrée, Djibouti, la Somalie et le Kenya. On se rend compte aisément qu'il s'agit d'une zone terrestre étendue. Ce qui explique, d'ailleurs même en partie, les difficultés auxquelles se heurtent les pays concernés pour remédier à l'insécurité qui y règne. En fait, la majorité des pays composant la bande sahélo-saharienne partage, sur le plan institutionnel, une «crise d'Etat». Celle-ci se traduit par une vulnérabilité structurelle et une fragilité des institutions publiques aggravées par le défi sécuritaire qui plane sur la région depuis l'apparition des mouvements terroristes et de narcotrafiquants. Il est évident que cette bande est, de nos jours, l'une des plus risquées au monde. La question qui se pose à ce stade est celle de savoir si les Etats intéressés, malgré leurs moyens trop limités, sont capables de mettre fin à la menace sécuritaire ? Ou mieux, faudrait-il plaider pour un devoir d'ingérence de la Communauté internationale afin d'accompagner lesdits pays dans la lutte anti-terroriste ? La réponse ne peut être que nuancée. A vrai dire, les pays de l'arc sahélo-saharien sont incapables de combattre, isolément, des ennemis asymétriques. Ceux-ci se composent essentiellement de la nébuleuse terroriste d'Al-Qaïda aux Pays du Maghreb Islamique (AQMI), de mouvements sécessionnistes tels que le Front Polisario, de groupes touaregs armés et d'organisations criminelles transnationales tels les cartels de drogue latino-américains. Nul doute qu'il existe aujourd'hui une collusion d'intérêts entre tous ces éléments malgré la différence de leurs repères idéologiques. L'objectif commun de ces groupes demeure la déstabilisation de la zone sahélo-saharienne. Ce qui constituera, pour eux, un gage de durabilité. En effet, l'espace sahélo-saharien est très imprégné par l'impact des conflits violents qui l'ont touché et qui y ont déterminé, entre différentes catégories d'acteurs, soit des affinités soit des rivalités. Il s'agit notamment du différend saharien, de la guerre civile algérienne, de la crise du Darfour, des insurrections armées périodiques au Tchad et du conflit touareg au Niger et au Mali, le nord de ce dernier pays étant sous le contrôle d'AQMI. Une nouvelle donne vient aggraver cette situation jugée déjà précaire. En fait, le Conseil de sécurité des Nations Unies a publié un rapport le 26 janvier 2012 dans lequel il dépeint une situation préoccupante au Sahel après la chute du régime de Kadhafi, tout en soulignant le possible rapprochement entre AQMI et la mouvance terroriste nigériane Boko Haram. Selon ce rapport, des armes et munitions provenant de stocks libyens sont entrées clandestinement dans les pays du Sahel en évoquant même l'hypothèse de la création de nouveaux mouvements, au-delà d'AQMI et de Boko Haram. En somme, trois grands défis affectent l'espace sahélo-saharien : une prédominance de la fragilité étatique, une vulnérabilité structurelle au niveau étatique, économique, social et sociopolitique introduisant un état d'insécurité et une hybridation des différentes menaces telles que celles liées au trafic de drogue, à la traite humaine, à la migration clandestine, aux trafics d'armes et de ressources naturelles (or, diamant, etc.), à la criminalité organisée et à la corruption des acteurs politiques. Devant cette situation et face à la recrudescence des actes terroristes dans la zone sahélo-saharienne, il est opportun de rappeler qu'aucune décision prise unilatéralement n'arrivera à parer ce phénomène. Le seul remède consiste en une coopération étroite à la fois interétatique, régionale, interrégionale et internationale. Vu les circonstances sévissant dans cette région, la communauté internationale, loin d'usurper les normes fondamentales du droit international, a un devoir dit d'ingérence pour accompagner le développement des sociétés sub-sahariennes. Le terrorisme est donc un défi que l'Afrique - si elle veut consolider ses institutions étatiques sur une base démocratique - est appelée à gérer en concertation avec ses partenaires occidentaux. Dans une approche internationaliste critique, il faudra que les puissances occidentales s'emploient pour la mise en œuvre d'un état-major mixte, qui regroupe des Etats africains et occidentaux, capable de fédérer les objectifs en matière sécuritaire en Afrique. Au-delà des missions qui peuvent être menées dans une perspective du droit d'ingérence, telles que la lutte contre le trafic de drogue, le renforcement du développement humain, la lutte anti-terroriste en favorisant le développement, l'ingérence de la Communauté internationale dans la zone sahélo-saharienne ne portera ses fruits qu'en combattant l'idéologie sécessionniste qui enfante des Etats faillis ne pouvant que s'ériger en base arrière de la prolifération de zones grises. Zoom sur le CEI Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. Outre ses revues libellées, «Etudes Stratégiques sur le Sahara» et «La Lettre du Sud Marocain», le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009)» (décembre 2009), «Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile» (janvier 2011) et «Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies» (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, «La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume.