Plaidoyer pour davantage de progrès Il est vrai que de grands chantiers sont ouverts pour la première fois au Maroc en matière de promotion de la démocratie et des droits humains, à travers notamment la mise en œuvre des dispositions de la nouvelle Constitution, mais il est vrai aussi que nombre forces politiques progressistes et d'associations de défense des droits humains et des droits des femmes ne cessent de plaider pour davantage de progrès en matière de respect des libertés individuelles et collectives et des droits humains de tous genres et de l'égalité. L'environnement n'a jamais été aussi propice que maintenant, depuis l'adoption de la nouvelle Constitution, qui engage l'actuel gouvernement sur la voie de la démocratie en lui confiant la charge de tout mettre en œuvre pour son application. C'est dans ce cadre qu'intervient cette année la commémoration de la Journée internationale des Droits humains, qui coïncide avec le 10 décembre. Les droits humains, «un choix irréversible» Pour le gouvernement, la promotion des droits humains est « un choix irréversible », une mission dont il a la charge de par les dispositions de la nouvelle Constitution. Interrogé récemment par l'opposition parlementaire, selon laquelle la situation des droits humains n'a pas connu d'amélioration significative durant l'année qui s'achève, le chef de gouvernement a soutenu le contraire. Le gouvernement a fait de la promotion et du respect des droits économiques, sociaux, politiques et culturels des citoyens une priorité. Mieux encore, le pays est doté d'un Conseil national des droits humains et a créé toutes les conditions nécessaires à l'épanouissement des organisations de défense des droits humains. Selon le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Juan E. Méndez, un expert indépendant des Nations Unies, qui a séjourné en septembre dernier au Maroc, une culture des droits humains est en train de naître dans le pays comme le prouve la création d'un Conseil national des droits humains, lequel a publié en 2012 deux rapports, loin de toute complaisance, dont un sur les prisons et un autre sur la santé mentale. Le CNDH, des rapports non complaisants Dans le 1er rapport, le CNDH dévoile plusieurs dysfonctionnements au sein des prisons au Maroc, tout en précisant que des traitements cruels, inhumains ou dégradants persistent toujours dans ces établissements. Intitulé, «la crise des prisons, une responsabilité partagée : 100 recommandations pour la protection des droits des détenu-e-s», ce rapport indique que la cause principale des dysfonctionnements relevés s'explique par le surpeuplement. Le CNDH a également élaboré un autre rapport sous l'intitulé «la santé mentale et les droits humains : l'impérieuse nécessité d'une nouvelle politique » qui dresse l'état des lieux de la santé mentale au Maroc et des établissements hospitaliers chargés de la prévention et du traitement des maladies mentales et de la protection des malades mentaux. Commentant ce rapport, le président du CNDH, Driss El Yazami, a indiqué que la santé mentale et les droits de l'Homme sont intimement liés. D'après lui, les dysfonctionnements dont souffre ce secteur résident dans la désuétude et la non harmonisation du texte de loi relatif à la maladie mentale et des lois y afférentes, l'insuffisance et l'inadéquation des structures en termes de répartition géographique, d'architecture et d'équipements et de non conformité de ces structures aux normes et aux exigences de sécurité et de surveillance, outre la pénurie du personnel médical et paramédical et l'absence des programmes de formation et de formation continue, l'absence de profils nécessaires en matière de psychiatrie tels que les psycho-éducateurs, les psychologues cliniciens, les généralistes, les ergothérapeutes, les art thérapeutes et les assistants sociaux, la mauvaise qualité des services médicaux et non médicaux administrés aux usagers de la psychiatrie et des conditions de vie auxquelles ils sont soumis pendant l'hospitalisation, l'absence des outils de contrôle et le non respect des procédures ainsi que la stigmatisation générale des malades et même de leurs soignants. Pour leur part, les organisations de défense des Droits humains réclament davantage de progrès notamment en matière de mise en œuvre de la nouvelle Constitution. L'OMDH dénonce la violence et l'absence de concrétisation des objectifs constitutionnels Interrogé à ce sujet par Al Bayane, le président de l'Organisation marocaine des droits humains (OMDH), Dr. Mohamed Nachnach, a longuement déploré le manque de progrès en matière de mise en œuvre de la nouvelle Constitution et en particulier pour tout ce qui concerne les droits humains au Maroc. Rien n'a été fait et il semble que le recours à la violence s'est généralisé dans la société et a atteint un degré préoccupant pour l'OMDH, a-t-il dit. Il est inadmissible de permettre aux forces de l'ordre de disperser de manière violente des manifestations pacifiques, de provoquer d'autres protestataires pour les contraindre à riposter de manière violente contre les forces de sécurité et de banaliser par conséquent des actes de violence de part et d'autre. Selon lui, le recours à des méthodes musclées pour régler les problèmes de société va à l'encontre de l'esprit de la nouvelle Constitution. Il faut respecter les droits des gens, en particulier ceux qui ne réclament que la satisfaction de leurs droits les plus élémentaires à l'éducation, à la santé, au logement et à la vie. En un mot, l'OMDH condamne le recours à la violence qui n'épargne plus aucun secteur de la vie en société à commencer par la vie conjugale (violences à l'égard des femmes, des enfants, agressions), situation qui s'explique selon lui par la cherté de la vie, l'aggravation du chômage, la baisse du pouvoir d'achat des familles et les difficultés économiques, sociales, culturelles et financières de la société. Peu de progrès ont été malheureusement réalisés dans ce domaine, a-t-il estimé, rappelant que la liberté d'expression continue aussi d'être bafouée à travers l'arrestation et le jugement de journalistes, aux termes du code pénal, comme si ce sont des criminels ordinaires. L'OMDH condamne aussi la détention préventive d'un grand nombre de citoyens pour des actes qu'ils n'ont pas commis, les lenteurs des procédures judiciaires et les bavures de la justice marocaine, dont la réforme, piétine toujours. Droit à l'éducation Il en est de même du respect du droit à l'éducation. L'analphabétisme touche toujours 50 % de la population marocaine, un taux inacceptable, a-t-il dit. Selon lui, cette situation s'explique par le fait que l'enseignement est à deux vitesses : un enseignement de qualité pour les nantis et un autre médiocre pour le peuple. Idem pour la santé, malgré la bonne foi, l'engagement et le dynamisme de l'actuel ministre, les moyens humains et financiers mis à la disposition du secteur sont insuffisants. La situation n'est guère meilleure pour ce qui est du respect du droit des gens au logement. L'habitat insalubre et la prolifération des bidonvilles marquent toujours la vie des pauvres, confrontés au chômage, aux maladies, à la malnutrition. Le prédisent de l'OMDH s'est insurgé aussi de voir le Maroc s'abstenir lors du récent vote par l'Assemblée générale de l'ONU d'une résolution appelant les Etats à décréter un moratoire sur les exécutions des condamnés à mort. Il a par ailleurs souligné que l'encombrement des prisons marocaines, qui comptent une population carcérale de quelque 80.000 prisonniers (contre 40.000 en France, un pays deux fois plus peuplé que le Maroc) préoccupe aussi au plus haut point l'OMDH, laquelle lutte pour l'amélioration des conditions de détention des prisonniers qui ont le droit bénéficier d'un traitement humain. Le Maroc n'est pas dénué de ressources et de potentialités, mais ce sont en définitif, les méthodes de bonne gouvernance qui lui font défaut, a-t-il estimé. L'AMDH dénonce les reculs De son côté, la présidente de l'Association marocaine des droits Humains (AMDH), Mme Khadija Ryadi, a déploré les reculs constatés au niveau du respect des droits humains en 2012 au Maroc, en dépit des nouveautés apportées par la nouvelle Constitution du pays, des engagements nationaux et internationaux du pays et des rapports établis par nombre d'organismes sur différents sujets (corruption, santé mentale, etc.). Elle a estimé à ce propos que le manque de séparation des pouvoirs et du respect de l'indépendance de la Justice, entrave sérieusement la promotion et le respect des droits humains au Maroc. Le Maroc a plus que jamais besoin d'une justice indépendante pour mettre en confiance tout le monde dont les investisseurs nationaux et étrangers, et l'ensemble de la population, a-t-elle dit. Elle a par ailleurs dénoncé le recours à la violence pour disperser les manifestations pacifiques et la multiplication des procès citant à titre d'exemple celui de huit défenseurs des droits humains dont 5 membres de l'AMDH devant la Cour d'appel d'Agadir. Elle a condamné de même la situation alarmante dans les prisons marocains et les actes racistes dont sont victimes des migrants africains dans le nord et l'Oriental du pays. Au niveau social, la situation est toujours critique et les campagnes de luttes annoncées par le gouvernement contre la prévarication, la corruption, les employés fantômes, les privilèges et l'économie de rente, n'ont pas eu lieu, a-t-elle déploré. Elle a par ailleurs exprimé son regret de voir l'année 2012 s'achever sans dialogue social véritable entre gouvernement et organisations syndicales, estimant l'Etat manque en somme de volonté politique effective pour le respect des droits et des libertés. Il est vrai que la nouvelle Constitution a annoncé certaines libertés et des droits tels l'incrimination de la torture, de la détention arbitraire et de la disparition forcée, note l'AMDH, qui estime que l'effet des dits droits et libertés reste cependant très restreint en l'absence de garanties constitutionnelles – surtout judiciaires – pour leur mise en œuvre, de la garantie de leur sauvegarde et de la non-impunité des auteurs de leur violation. Le 10 Décembre : Journée internationale des droits humains. Cette Journée est l'occasion, chaque année, de célébrer les droits humains de mettre en lumière un problème particulier, et de plaider pour que chaque individu, où qu'il se trouve, puisse exercer pleinement tous ses droits fondamentaux. Cette année, l'accent est mis, selon le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits humains, sur les droits de tous les individus - les femmes, les jeunes, les minorités, les personnes handicapées, les autochtones, les personnes pauvres ou marginalisées -afin que leurs voix soient entendues dans la vie publique et prises en compte dans les décisions politiques. Ces droits fondamentaux - droits à la liberté d'opinion et d'expression, droit de réunion et d'association pacifiques, droit de prendre part aux affaires publiques (articles 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits humains - ont été au cœur des bouleversements historiques survenus dans le monde arabe ces deux dernières années, au cours desquelles des millions de personnes sont descendues dans la rue pour réclamer le changement. Dans d'autres parties du monde, les « 99 % » se sont exprimés à travers le mouvement mondial des indignés pour protester contre les inégalités économiques, politiques et sociales. Cette Journée est célébrée le 10 décembre de chaque année, en commémoration de la Déclaration universelle des droits humains (DUDH), qui a été adoptée le 10 décembre 1948. Depuis lors, c'est à cette date qu'est célébrée dans le monde la Journée des droits humains. La Haut-commissaire aux droits de l'homme, principale responsable de cette question à l'ONU, et son Bureau jouent un rôle central de coordination des efforts relatifs à l'observation annuelle de la Journée des droits humains.