Le CNDH dénonce les traitements inhumains La gestion et le fonctionnement des établissements pénitentiaires au Maroc sont marqués par le recours excessif à des mesures disciplinaires et ce en l'absence ou en l'insuffisance d'un contrôle effectif et régulier par les mécanismes administratifs et judiciaires ad hoc. Selon un rapport, présenté mardi à Rabat à la presse par le Conseil national des droits de l'homme (CNDH), ces pratiques s'inscrivent dans le cadre de la stratégie poursuivie par la Délégation générale des l'Administration pénitentiaire et de la réinsertion, laquelle privilégie la politique sécuritaire au détriment de la sécurité des détenus. Suite aux visites de terrain, aux rencontres effectuées et aux séances d'audition des détenu(e)s, le CNDH fait état dans son rapport thématique de la persistance d'exactions à l'encontre des détenus commises par le personnel des prisons visitées, ce qui constitue une violation des lois régissant les établissements pénitentiaires et de toutes les conventions pertinentes qui considèrent de tels agissements comme des formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ces violations se manifestent par des coups portés aux moyens de bâtons et de tuyaux, la suspension sur des portes à l'aide de menottes, les coups administrés sur la plante des pieds (FALAQA), les gifles, les pincements à l'aide d'aiguilles, les brûlures, les coups de pied, le déshabillage forcé des détenus au vu et au su des autres prisonniers, les insultes et l'utilisation d'expressions malveillantes et dégradantes portant atteinte à la dignité humaine des détenus. Ces exactions ont été observées dans la plupart des prisons visitées, avec une prévalence et une intensité qui diffèrent d'une prison à une autre, à l'exception des prisons d'Inezgane et de Dakhla où seuls des cas isolés ont été enregistrés. Le rapport du CNDH fait également état d'excès dans le recours au pouvoir discrétionnaire lors de l'interprétation des faits et gestes des détenu(e)s qualifiés comme portant atteinte à la sécurité de l'établissement, les privant ainsi de certains droits. L'alimentation apportée par les familles des détenus est ainsi parfois refusée ou détruite. De même des punitions collectives sont parfois décidées en cas de révolte ou de présentation par des détenus de doléances collectives. Des abus dans le recours au transfert administratif comme mesure disciplinaire à l'encontre de détenus (notamment de la Salafiya Jihadiya) ont été relevés, ajoute le rapport, qui dénonce la rareté des enquêtes au sujet des plaintes déposées à l'encontre des personnels, y compris le personnel sanitaire, ou au sujet des violations relatées par la presse et les associations. Le CNDH s'insurge aussi contre le non respect de la progressivité lors de l'adoption des sanctions disciplinaires conformément au principe de la proportionnalité de l'infraction et de la mesure disciplinaire, et le placement des détenus dans des cellules disciplinaires avec l'application de la durée maximale pour certains d'entre eux ainsi que contre l'absence de procédure de contrôle et d'inspection efficaces à même de mettre fin aux différentes manifestations de corruption qui caractérisent certains établissements, bien qu'à des degrés différents. Au terme de ses investigations, le CNDH signale aussi l'absence d'une approche inclusive dans la gestion des prestations et des programmes d'éducation et de formation des détenus. Le CNDH souligne par ailleurs qu'en dépit des avancées de la législation pénale, la non-application de certaines dispositions juridiques ou leur application sans une supervision effective par les mécanismes de contrôle judiciaire du ministère de la Justice, porte atteinte aux droits des détenus, toutes catégories confondues. A ce propos, le CNDH fait remarquer que le recours excessif à la détention provisoire est la première cause du surpeuplement des prisons marocaines. Le rapport du CNDH s'en prend de même à la lenteur des procès, laquelle constitue une atteinte aux garanties du procès équitable prévues par la loi et à la non-application des dispositions légales relatives à la libération conditionnelle (articles 622 à 632 du code de procédure pénale), aggravée par la difficulté d'identifier l'instance chargée de l'application de ces dispositions, ainsi que la non-satisfaction de la majorité des demandes formulées à cet égard (deux libérations conditionnelles en 2011). Le rapport fait en outre état de la non-mise en œuvre de la procédure de conciliation prévue à l'article 41 de code de procédure pénale, qui concerne des délits passibles d'une peine de deux ans au plus ou d'une amende ne dépassant pas 50.000 DH. Ainsi, au 30 avril 2012, l'on comptait quelque 14.522 détenus condamnés à une peine d'un an au plus, dont 9.228 condamnés à six mois au plus. Le rapport s'arrête de même sur nombre d'autres insuffisances dont la non-effectivité du contrôle judiciaire, pourtant prévu par la loi. Le CNDH a cependant noté avec satisfaction les efforts déployés par la Délégation générale de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion en matière de réaménagement, de construction des établissements pénitentiaires et de lutte contre la corruption. Au niveau de la justice des mineurs, le rapport du CNDH indique que l'ensemble des acteurs conviennent que les dispositions de la Convention des droits de l'enfant et les principes directeurs pertinents ont été pris en compte dans le Code de procédure pénale, privilégiant ainsi l'approche protectrice des droits des mineurs en conflit avec la loi. Le Conseil a émis, toutefois, plusieurs remarques relatives à la non-existence d'une police des mineurs et de lieux de garde à vue ad hoc (le mineur est souvent maintenu en garde à vue dans les postes de police), à la non-existence de substituts du procureur du Roi spécialisés dans la justice des mineurs et au manque de moyens humains et matériels à même de garantir qu'aucun préjudice ne soit causé aux mineurs en garde à vue (alimentation, soins de santé, assistance psychologique et sociale...). S'agissant des groupes vulnérables, le rapport avance que les femmes pâtissent davantage pour des considérations d'ordre socioculturel, de traitements cruels et de comportements dégradants (insultes, humiliations), aussi bien dans les postes de police que dans les prisons. Les détenues incarcérées pour des affaires de mœurs sont particulièrement visées par certaines surveillantes, note le rapport, qui relève une série d'insuffisances et de dysfonctionnements concernant aussi la détention des personnes atteintes de maladies mentales et de celles en situation de handicap. Et le rapport de souligner que la construction de nouvelles prisons et l'augmentation des capacités d'accueil des établissements existants ne peuvent constituer à elle seules une solution efficace et pertinente à la crise des prisons marocaines. Pour les auteurs du rapport, il est nécessaire de procéder à une réforme de la politique pénale et de tout l'arsenal juridique l'accompagnant. Selon le rapport, le plus grand problème des prisons marocaines réside dans leur surpeuplement, qui contribue à la survenance de violations graves touchant essentiellement toutes les prestations, la santé, l'hygiène, l'alimentation, la sécurité outre la réhabilitation des détenus. Pour redresser la situation, le CNDH a recommandé la mise en œuvre du contrôle dévolu au Parlement par la législation, des missions d'information et d'enquête et l'interpellation en vue d'améliorer les lois et garantir leur harmonisation avec les normes internationales pertinentes. Il a appelé aussi à activer le rôle de la commission prévue par le dernier alinéa de l'article 2 du dahir du 29 avril 2008 pour améliorer la gestion des établissements pénitentiaires. Il est également nécessaire, estime le CNDH, de lancer à moyen et long termes un dialogue national sur la situation dans les prisons par l'organisation d'un colloque auquel prendront part tous les acteurs, gouvernementaux et non gouvernementaux, en vue de procéder à un diagnostic partagé de la situation des établissements pénitentiaires et élaborer des propositions de réforme des prisons et des centres de réforme et d'éducation des mineurs. Le CNDH a renouvelé aussi son appel pour mettre en œuvre les recommandations de l'Instance équité et réconciliation relatives à la ratification du deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort. Le CNDH a appelé aussi les autorités à activer le processus de ratification du protocole facultatif à la Convention internationale contre la torture, ainsi que le processus de création d'un mécanisme indépendant pour la prévention de la torture.