L'année finissante aura été pour les professionnels de théâtre marocains une année de lutte pour la défense de leurs acquis et l'expression de leurs aspirations à un théâtre structuré et désiré par le public. Un théâtre qui ne rabaisse pas l'art, redonne une certaine place à l'artiste et pousse intelligemment le public à réfléchir et réagir. Ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Et pour cause, le théâtre national souffre depuis longtemps de l'absence d'une vision globale et claire nécessaire à l'épanouissement de cet art majeur qui se propose comme le disait si bien Molière de corriger les vices des hommes tout en les divertissant. Car si d'autres champs artistiques se portent plutôt bien, notamment sur les registres de la production cinématographique, musicale ou encore les arts plastiques et le marché de l'art, il n'en reste pas moins que le théâtre est toujours à la traîne, incapable de suivre le mouvement. Et l'une des faiblesses déplorées par les professionnels de théâtre reste la subvention allouée aux troupes de théâtres qui a d'ailleurs été derrière le boycott de douze troupes sur les 15 programmées lors de la 13ème édition en juin dernier du Festival National de Théâtre de Meknès. Un boycott décidé par le Syndicat National des Professionnels de Théâtre, l'Association des Lauréats de l'Institut Supérieur d'Art Dramatique et d'Animation Culturelle (ISADAC) ainsi que la Coordination Nationale des Troupes de Théâtre. Et ce, pour protester contre le nouvel arrêté ministériel sur le fonds de soutien au théâtre, lequel redéfinit les mécanismes et les critères d'attribution des subventions. Notamment sur le nombre des œuvres subventionnées pour chaque troupe fixé à une œuvre au lieu de deux auparavant, l'option impose désormais aux troupes de choisir entre l'aide à la production ou à la diffusion ou encore l'obligation pour chaque troupe candidate à la subvention de fournir à la commission d'aide au ministère de la culture un CD sur son spectacle. Une réforme qui a suscité une levée de boucliers de la part de la majorité des professionnels de théâtre, fustigeant ‘'l'attitude unilatérale'' du ministère de tutelle qui a exclu par la même le syndicat de la commission chargée d'accorder les subventions aux troupes de théâtre. Mais pour Messaoud Bouhcine, Président du Syndicat National des Professionnels de Théâtre, le véritable problème n'est point dans le montant et les critères d'attribution de la subvention somme toute modique (5 millions de dirhams), ni encore moins au niveau de la représentativité de son syndicat au sein de ladite commission mais bel et bien dans l'absence d'une vision à long terme et d'une politique théâtrale spécifique. Pour ce jeune comédien et dramaturge fraîchement élu à la tête du Syndicat National des Professionnels de théâtre lors de son 6ème congrès tenu du 16 au 18 décembre à Safi, le théâtre reste toujours en mal de restructuration et de mise à niveau, confiant à la Map que le cadre juridique régissant la profession comporte des failles qu'il s'agit de combler au plus vite par un texte organique pour réhabiliter l'image et le statut de nos comédiens, protéger leurs droits et les prémunir contre certains producteurs exécutifs qui ne respectent pas les clauses du contrat. En attendant Godot Une situation fragile qui n'est point propice à la production et à la pratique théâtrale. Et pourtant, le Royaume du théâtre compte des comédiens de talent, des dramaturges de renom et d'excellents scénographes. Il plaide pour une feuille de route qui associe l'ensemble des intervenants, acteurs institutionnels et professionnels de théâtre, convaincu qu'il est que ‘'le théâtre ne peut pas exister sans les institutions''. Pour ce faire, la nouvelle constitution offre un cadre idéal pour la promotion du théâtre national, d'autant qu'elle accorde une place prépondérante pour les arts et la culture, souligne-t-il, indiquant que la majorité des propositions de la Coalition Marocaine de la Culture et des Arts ont été prises en compte par la Commission Consultative de révision de la constitution. Outre l'adaptation et la matérialisation de la réglementation juridique en faveur de l'artiste, Messaoud Bouhcine se dit également très préoccupé par la condition sociale des comédiens, assurant que son syndicat est déterminé à veiller à faire aboutir la proposition exprimée lors de son dernier congrès à propos de la création d'une Fondation des oeuvres sociales pour les comédiens. Pour promouvoir, par ailleurs, la création dramatique, il propose, entre autres, que les collectivités locales et les entreprises nationales mettent la main dans la poche en subventionnant des représentations théâtrales et aussi certaines créations destinées à sensibiliser au sujet de certains phénomènes de société, en l'occurrence, un théâtre didactique. Et pourquoi ne pas tisser des partenariats pour construire des théâtres là où ils n'existent pas et en construire même plus dans les grandes villes. Des lieux de spectacle vivants et vitaux non seulement pour les troupes professionnelles mais aussi et surtout pour l'épanouissement du théâtre amateur et scolaire, deux pratiques jadis prolifiques et prospères mais qui sont depuis des années dans un état de léthargie inquiétant pour la relève. Et pour raviver la tradition du théâtre et l'intérêt du public, la télévision peut bien servir la bonne cause en programmant des retransmissions en direct de certains pièces à succès comme ce fut pour la seule et première fois en 2010 sur 2M qui a retransmis la représentation de ‘'Bnat Lalla Menana” de la troupe Tacoon. En attendant que la télévision programme régulièrement des représentations en direct, ce sont - et ceci depuis que le théâtre va mal- les comédiens qui se bousculent au portillon des télévisions et des sociétés de production pour jouer dans les téléfilms, des sitcoms et dans des spots publicitaires, parfois de mauvais goût. Car après tout, il faut bien gagner sa vie ! Et Ils sont nombreux à délaisser les planches pour décrocher des rô_les dans le cinéma, notamment dans les productions étrangères. Et du coup, le théâtre se retrouve réduit à la portion congrue. Liberté toujours Dans le Royaume du Théâtre, il ne reste que quelques troupes militantes qui continuent autant que faire se peut à offrir des spectacles pour éveiller et surprendre le public. Et encore, faute de moyens, elles se contentent de quelques représentations dans les principales villes, privant ainsi un large public de ce moment si intense et vivant qu'est le théâtre. Cela dit, le théâtre marocain n'est pas seulement en mal de restructuration et de professionnalisation, il est aussi la cible de certaines polémiques comme ce fut le cas cette année au lendemain de la représentation donnée de la pièce ‘'Capharnam'' où la comédienne Latifa Ahrar s'est montrée dans une tenue légère. Une polémique qui n'a pas lieu d'être selon le président du Syndicat National des professionnels de théâtre pour qui l'art et la création ne peuvent exister sans liberté. Et si un débat sur certaines lignes jaunes à respecter devait avoir lieu, il doit concerner exclusivement l'aspect artistique.Et pour finir sur une note optimiste comme le veut la tradition des voeux de fin d'année, le président du syndicat espère que 2012 sera une année faste pour le théâtre et qu'elle signera la fin des luttes pour les revendications des comédiens car la persistance des tensions et des insatisfactions ne peut que nuire à la créativité. Un repos du guerrier mérité pour que retentissent encore et toujours les trois coups au théâtre.