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Livre/Essai : «Espagne-Maroc : plaies non cicatrisées»
Publié dans Albayane le 26 - 08 - 2012

«España - Marruecos : Heridas sin cicatrizar» (Espagne-Maroc : plaies non cicatrisées) est le titre d'un essai sociologique qui vient de paraître en espagnol à Madrid. Ecrit par le journaliste-sociologue marocain, Mohamed Boundi, l'ouvrage décortique le discours des médias espagnols sur le traitement de la question marocaine et explique les causes qui motivent la persistance dans le temps et dans l'imaginaire collectif espagnol d'un ensemble de préjugées, stéréotypes et images déformées de la société marocaine.
Chapitre II : un siècle et demi de malentendus
(Pages 164-170)
2.4.4.- Le Sahara
Au lendemain de la conclusion des Accords Tripartites de Madrid, le 14 novembre 1975, par l'Espagne, le Maroc et la Mauritanie, le premier gouvernement de la Couronne espagnole a rendu publique une déclaration dans laquelle il annonçait qu'il allait observer une stricte neutralité à l'égard de la question du Sahara.
Le transfert de l'autorité administrative sur le Sahara en 1975 n'affecte pas le statut International de ce territoire comme zone autonome, précise une note spécifique sur le Sahara, datée du 29 novembre 2002, remise par le suédois Hans Corell, Sous-secrétaire général aux affaires juridiques et Conseiller juridique des Nations Unies.
Pour le Front Polisario, il s'agit d'un problème de décolonisation qui doit être résolu conformément au principe de l'autodétermination des peuples, consacré dans la Charte de l'ONU. Depuis son intronisation en juillet 1999, les discours et déclarations du roi Mohamed VI constituent la principale référence concernant la « marocanité » du territoire sur laquelle s'appuie la position officielle du Maroc. Pour l'Espagne, toute proposition de règlement du conflit doit intervenir à travers les canaux qui conduiront à la libre autodétermination des populations sahraouies.
Les Cortes (les deux chambres du parlement d'Espagne) et les parlements des Communautés autonomes (régionaux) participent, depuis les années 90 du siècle précédent, à l'action sociale par le biais d' « intergroupes d'appui à un referendum libre au Sahara » et la participation aux actes officiels du Polisario, par l'envoi de délégations à Tindouf.
A Partir d'avril 2005, les parlementaires espagnols ont décidé d'accompagner à Laâyoune les délégations de syndicats, d'organisations sociales et ONG, en qualité d'observateurs en vue de superviser « sur le terrain le degré de respect des droits humains au Sahara ». Toutefois, le gouvernement espagnol est amené à communiquer au Maroc son « désaccord » à chaque fois qu'une délégation fut refoulée à son arrivée à l'aéroport de Laâyoune.
Comme nouvelle forme de soutien au Front Polisario, de nombreuses organisations espagnoles avaient lancé une campagne d'envoi de messages électroniques SMS au président du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero, en vue de l'amener à condamner la « violence contre la population sahraouie », rapportait le site web Canal Solidario, le 15 décembre 2005.
Dans un discours en commémoration du dixième anniversaire de son intronisation, du 30 juillet 2009, le roi Mohamed VI a rappelé l'initiative (qu'il avait annoncée le 11 avril 2007) tendant à mettre fin au conflit du Sahara par l'octroi d'une large autonomie pour le territoire et la création d'une commission consultative pour explorer les possibilités d'instaurer un système de régionalisation au royaume. L'objectif serait de mettre sur pied dans les provinoises du sud un modèle de régionalisation avancée pour renforcer la gestion démocratique de leurs affaires locales. « En proposant l'initiative d'autonomie, avec sa profondeur démocratique et son horizon maghrébin, Nous avons raffermi davantage encore l'unanimité nationale autour de la préservation de l'intégrité territoriale de notre pays », a assuré le souverain. Cette position a été proclamée devant l'échec de quatre rondes de négociations tenues dans la localité newyorkaise de Manhasset. Le roi Mohamed VI a par ailleurs invité à « renforcer l'identité marocaine, en veillant à la réhabilitation de ses multiples affluents, dans lesquels notre unité nationale puise sa force et sa richesse ». Auparavant, dans son discours du 30 juillet 2008, le roi avait tenu à « réaffirmer la disposition du Maroc à s'engager dans des négociations substantielles, de bonne foi et à tous les niveaux, afin de trouver une solution politique, consensuelle et définitive à ce conflit qui n'a que trop duré ». La même proposition a été signalée dans le discours du trône du 30 juillet 2010, dans lequel le souverain l'a qualifiée « d'initiative audacieuse et de proposition réaliste, innovante et consensuelle, et qui vise à trouver une solution définitive à ce différend régional, dans le cadre de l'ONU ». Tout en « réitérant la disposition du Maroc à continuer à soutenir les efforts de l'Organisation onusienne, de son Secrétaire général et son Envoyé personnel », le roi a réaffirmé son attachement à « la défense de la souveraineté du royaume, son unité nationale et son intégrité territoriale, avec la détermination de ne pas renoncer au moindre pouce de son Sahara ».
A l'origine de la proposition royale, l'Espagne, qui tentait durant des décennies de privilégier l'option d'un referendum d'audotermonatnion en adoptant en même temps une attitude équidistante entre les différents protagonistes du conflit, devait éclaircir davantage sa position à l'égard de la nouvelle donne politique et du futur du Sahara.
La rupture qui intervient entre la société civile, solidaire á l'égard de la population sahraouie à Tindouf, et la raison d'Etat qu'exige maintenir un équilibre dans les relations avec les Etats du Maghreb rend encore plus ardue la tâche pour le gouvernement espagnol, à la fin des années 2000.
C'est le ministre des affaires extérieures, Miguel Angel Moratinos, qui assumait la difficile mission de naviguer dans les méandres du langage diplomatique dans la tentative d'atténuer les tensions lors de ses tournées dans les Etats du Maghreb et interventions devant le parlement. Il a ainsi affirmé, lors d'une séance au Congrès des Députés, le 17 mars 2009 : « La proposition marocaine, du 11 avril 2007, supposait la concrétisation d'un pas annoncé depuis bien longtemps mais qui n'a pu être réalisé jusqu'à présent : une offre de négociation et un schéma d‘autonomie substantive ».
Les propos de Moratinos, qui n'ont pas été d'ailleurs contestés par le groupe populaire (alors dans l'opposition), corroborent une nouvelle démarche adoptée par la diplomatie espagnole à l'égard de la question du Sahara. Pour expliquer davantage la nouvelle attitude du gouvernement de Madrid, Moratinos a indiqué en substance : « le referendum n'est pas inclus dans la résolution du Conseil de Sécurité. Il se peut que les parties puissent le décider; nous ne disons pas non (...). Je ne sais si les sahraouis vont-ils décider de créer un Etat, être indépendants, s'intégrer au Maroc ou avoir une autonomie (...). Le Conseil de Sécurité établit (qu') aucune solution ne sera complète et acceptable si elle ne permet pas de respecter le principe d'autodétermination (...) mais il faut ici appliquer la méthode de la négociation pour définir les contours précis de la manière dont une solution négociée entre les parties puisse reconnaître que ce principe d'autodétermination a été atteint ».
La nouvelle démarche à suivre par les autorités de Madrid n'a pas plu au Front POLISARIO ni a été acceptée par un secteur de la société civile d'Espagne, a reconnu l'universitaire Carlos Ruiz Miguel dans un article intitulé “Moratinos viole le droit International" publié par le Grupo de Estudios Estratégicos, dans son bulletin du 3 avril 2009.
2.4.5.- la nouvelle ère
La normalisation des relations hispano-marocaines, fortement ébranlées en 2001 et 2002, a commencé timidement avant de passer à la grande vitesse, le 3 février 2003, lorsque les deux Etats ont convenu d'autoriser le retour des ambassadeurs, Fernando Arias-Salgado et Abdeslam Baraka, à leurs postes respectifs
Ce processus s'est vu renforcé par le geste de solidarité exprimé par le gouvernement d'Aznar au lendemain des attentats terroristes de Casablanca du 16 mai 2003, et plus tard, par l'envoi d'aides de la part des autorités, ONG et administrations autonomes espagnoles aux victimes du tremblement de terre qui avait secoué la ville d'Al-Hoceima, le 24 février 2004. De leur côté, les autorités de Rabat ont réagi avec vigueur en ordonnant à ses hauts responsables des services d'information et de sécurité de prêter leur collaboration à leurs homologues espagnoles à la suite des attentats terroristes du 11 mars 2004 (11-M), contre des compartiments du train de la banlieue de Madrid. Dans un geste de soutien de la part de la société marocaine, une cérémonie œcuménique en mémoire des 191 victimes dans ces attentats a été organisée dans la cathédrale de Rabat avec la participation des membres du gouvernement, de la classe politique et acteurs sociaux. Aux funérailles d'Etat, officiées dans la cathédrale d'Almunia de Madrid, le roi Mohamed VI a délégué son frère Moulay Rachid pour le représenter.
Ces symboliques gestes ont été accomplis dans le sens de faire connaître publiquement le nouvel esprit de solidarité qui régnait entre les deux Etats. Cette démarche démontre que les gouvernements aspirent à tourner la page des malentendus et récupérer le temps perdu à cause des turbulences qui avaient occupé un grand espace dans les relations bilatérales depuis l'échec des négociations de pêche à Bruxelles, le 25 mars 2001, jusqu'au 3 février 2003.
Dans son programme électoral aux échéances du 14 mars 2004, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol a promis d'instaurer des relations saines avec le Maroc. Son leader, José Luis Rodriguez Zapatero, a réitéré cet engagement dans son discours d'investiture au Congrès des Députés, le 19 avril 2004, en affirmant que : « le Maroc exige et mérite une attention particulière et des relations qui conduisent à une profonde entente. C'est ainsi que je vais l'exposer aux autorités marocaines au cours de la visite que j'effectuerai dans les prochains jours ».
Il n'est guère surprenant, dans ces circonstances, de relever que le roi Mohamed VI appelle par téléphone Zapatero pour le féliciter, quelques heures seulement après le triomphe du PSOE aux élections générales du 14 mars 2004. La visite à Casablanca de Zapatéro, le 24 avril, a scellé le début de la nouvelle ère de bonnes relations. Toutefois et sans avis préalable, une délégation marocaine de haut niveau, dirigée par le ministre des relations étrangères et de la coopération, Mohamed Benaissa, a débarqué au palais de la Moncloa, un mois plus tard, pour remettre à Zapatéro « une missive » du roi Mohamed VI, dans laquelle il rappelle l'engagement pris de progresser dans la normalisation des relations bilatérales.
Dans la déclaration finale de la Réunion de Haut Niveau à Séville (28/29 septembre 2005), les deux parties ont réitéré la volonté de renforcer encore davantage leurs relations de caractère « stratégique et global dans un cadre de confiance et d'entente mutuels ».
Pour entériner la normalisation des relations diplomatiques, les rois d'Espagne se sont rendus au Maroc, les 17 et 19 janvier 2005, pour leur première visite d'Etat depuis l'intronisation du roi Mohamed VI. Ce voyage a été annoncé durant la visite que le nouveau président du gouvernement espagnol avait effectuée à Casablanca, quelques mois auparavant. Le dernier séjour de Don juan Carlos 1 er au Maroc remonte à juillet 1999, lors des funérailles du roi Hassan II.
Le message transmis par le souverain marocain au roi d'Espagne à l'occasion de la Fête Nationale de son pays (12 octobre) est un autre geste à citer en rapport avec le rapprochement entre les deux Etats. Dans ce message, le roi Mohamed VI, signale que la future visite des souverains d'Espagne au Maroc va donner « une nouvelle impulsion » aux « excellentes relations » bilatérales et constituera également « une nouvelle et précieuse occasion » pour consolider les traditionnels liens d'une amitié séculaire qui unit les deux monarchies.
Le programme du voyage des souverains d'Espagne a été chargé de gestes, paroles et actes symboliques. Ils ont visité quatre villes (Marrakech, Rabat, Tanger et Tétouan) pour attribuer à la visite une touche populaire. Ils ont pris part au dîner de gala au palais royal de Marrakech pour rendre hommage à la permanence des liens entre les deux monarchies. Ils ont enfin inauguré à Rabat le nouveau siège de l'ambassade d'Espagne dans un geste destiné à témoigner de l'intérêt politique accordé au Maroc. Leur déplacement dans le nord du royaume, l'ex-protectorat espagnol, a confirmé la continuité des liens culturels et constitué une invitation au gouvernement espagnol à s'impliquer davantage dans les projets de reconstruction de cette région. Laissant de côté les locutions protocolaires lors de l'échange de toasts au dîner de gala, les deux souverains ont indirectement souligné tous ces signaux et se sont engagés à œuvrer pour que la récupération de l'harmonie dans les relations bilatérales soit un fait réel.
Les deux monarques, qui ont omis de mentionner le contentieux territorial en rapport avec Sebta, Melilla et les Iles Jaâfarines, ont signalé sans ambages les traditionnelles positions de leurs respectifs gouvernements concernant la question du Sahara. Le roi Juan Carlos 1 er a rappelé la position de Madrid privilégiant une solution négociée dans le cadre de l'ONU alors que le roi Mohamed VI a plaidé pour une autonomie du territoire en respectant la souveraineté et l'intégrité territoriale du royaume.
Près deux ans plus tard, les relations bilatérales ont repris, en novembre 2007, leur habituel parcours parsemé de tension, de crispation et d'altercation. A l'origine fut la visite inattendue des monarques d'Espagne à Sebta et Melilla qui est intervenue en plein processus de normalisation. Bien qu'il soit son premier déplacement officiel dans les deux villes depuis son intronisation en 1975, ce geste a enclenché une nouvelle crise diplomatique. Il a démesurément irrité l'ensemble de la société marocaine, y compris le roi Mohamed VI qui avait décidé de « rappeler pour consultation » sine die l'ambassadeur du Maroc à Madrid, Omar Azzimane.
Si le gouvernement de Rabat a qualifié cette visite de « déplorable » et d'acte « inopportun », la vice-présidente du gouvernement espagnol, Maria Teresa Fernandez de la Vega, a, par contre, insisté sur « les extraordinaires et excellentes relations » entre les deux pays « alliés et amis ». Il s'agit d'une visite “normale", et “institutionnelle", avait-elle précisé pour exprimer une position officielle, soutenue d'ailleurs « unanimement » en Espagne par les médis et la classe politique, a rapporté l'agence Efe, dans une dépêche datée du 4 novembre 2007. Ce climat de tension rappelle celui provoqué auparavant par un voyage similaire en février 2006 de Zapatero dans les mêmes villes, que nous avons signalé dans la précédente section.
Dans la tentative de reprendre le ton normal des relations entre les deux gouvernements, le roi Mohamed VI a reçu Zapatéro en audience, le 11 juillet 2008 à Oujda. Cette rencontre était intervenue parallèlement à une nouvelle tragédie de l'immigration irrégulière à cause du naufrage de patéras, entre les 7 et 10 juillet, causant 29 morts sur les cotes d'Almeria et Motril (sud-est de l'Espagne). Dans cette circonstance, le déplacement de Zapatero a aussi coïncidé avec le sixième anniversaire de l'incident de l'îlot Toura/Leila (Persil pour les espagnols) mais le gouvernement de Madrid a tenu à souligner, pour atténuer l'effet du drame des patéras, les « excellents » liens unissant les deux gouvernements.
Selon un communiqué de presse de la Présidence du gouvernement espagnol, diffusé le 10 juillet 2008, Zapatero avait fait part au roi Mohamed VI de sa détermination de donner une forte impulsion politique aux relations bilatérales, qu'il considère « pleinement normales » après l'incident diplomatique provoqué par la visite de Juan Carlos 1 er à Sebta et Melilla.
Les relations entre Rabat et Madrid vont être, après le dernier voyage de Zapatéro à Oujda, suivi d'un rosaire de visites de ministres et délégations officielles qui commençaient à traverser dans les deux sens le Detroit de Gibraltar. Les déplacements à Rabat, par exemple, des ministres des Affaires Extérieures, de l'intérieur, du Travail et de l'immigration espagnols avaient un objectif précis destiné à expliquer le programme « Retour volontaire » des immigrés et l'initiative de concéder le droit de vote aux marocains munis de la carte de résidence permanente aux élections municipales de 2011. Selon les premières études et statistiques préliminaires, dont disposait le gouvernement, le collectif marocain sera le grand bénéficiaire de cette norme dans la mesure où il comprend 376.000 membres répondant à cette condition.
L'initiative requiert la conclusion d'un accord de réciprocité qui permettrait aux 3.297 espagnols adultes qui vivent au Maroc de voter également aux élections municipales. Cette difficulté a été résolue grâce à l'adoption par referendum, le 1 er juillet 2011, de la nouvelle Constitution du Maroc. Le gouvernement espagnol a par ailleurs tiré profit du bon moment que traversent les rapports bilatéraux pour encourager les relations économiques et de coopération au développement.
(A Suivre)


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