«España - Marruecos : Heridas sin cicatrizar» (Espagne-Maroc : plaies non cicatrisées) est le titre d'un essai sociologique qui vient de paraître en espagnol à Madrid. Ecrit par le journaliste-sociologue marocain, Mohamed Boundi, l'ouvrage décortique le discours des médias espagnols sur le traitement de la question marocaine et explique les causes qui motivent la persistance dans le temps et dans l'imaginaire collectif espagnol d'un ensemble de préjugées, stéréotypes et images déformées de la société marocaine. Chapitre II : un siècle et demi de malentendus (Pages 141-148) 2.4.- Retour à la crispation Les relations hispano-marocaines se sont précipitées sans avis préalable dans une nouvelle spirale de tension, de crispation et de malentendus pendant le deuxième mandat de José Maria Aznar comme président du gouvernement espagnol. Les conflits en suspens, tels la pêche, le Sahara et les possessions territoriales dans le nord du Maroc se sont immédiatement ravivés plaçant les gouvernements des deux pays au bord de la rupture. 2.4.1.- La pêche Les problèmes liés à la pêche ont été à l'origine du distanciement entre les deux gouvernements ce qui avait rendu compliquée toute tentative d'instaurer de fructueuses relations comme le stipule le traité de Coopération, de Bon Voisinage et de Coopération. Dans les bancs poissonneux marocains, l'Espagne disposait de plus de 400 embarcations, soit près de 95% du total de la flotte communautaire qui opérait dans la zone. Ceci revient au fait que durant les années 90, ont été signés entre le Maroc et l'UE trois accords de pêche d'une durée de trois ans chacun, qui ne furent pas pourtant exempts de profonds désaccords quant au nombre de bateaux à admettre dans les eaux marocaines, au montant de l'indemnité et aux conditions de pêche. Suite à l'échec du ballet diplomatique entre Rabat et Bruxelles à l'expiration du dernier de cette série d'accords, le 30 novembre 1999, la flotte halieutique espagnole a regagné ses ports d'attache. Le Maroc avait considéré insuffisante et inadéquate l'offre communautaire de 500 millions d'euros alors que le gouvernement espagnol a accusé son homologue de Rabat de la responsabilité de l'échec des négociations. Dans une déclaration à la station radio privée Onda Cero, Aznar avait mis en garde, le même jour où les ministres de l'agriculture et de la pêche de l'UE avaient décidé de clore définitivement le dossier des négociations avec le Maroc, le 25 avril 2001, que : «personne ne peut penser (...) que ceci n'aurait pas de conséquences sur les relations entre le Maroc et l'Espagne, et entre le Maroc et l'UE. L'Espagne a fait des gestes clairs en rapport avec le Maroc, telle la reconsidération de la dette et le développement d'infrastructures, et qu'en ce moment, il serait très difficile que de telles initiatives se répéteraient ». Dans la même journée, le ministre marocain de la Communication, Larbi Messari, a répondu à Aznar disant que : «ni Franco aurait osé s'adresser au Maroc dans de tels termes». A l'origine d'éventuelles représailles annoncées par Aznar, les relations bilatérales se sont détériorées rapidement. Mariano Rajoy, alors ministre de l'intérieur, avait mis en garde contre le fait que les Opérations de la Traversée du Détroit « avec un traité de pêche ne seraient pas les mêmes » si les marins espagnols ne retourneraient pas dans les eaux marocaines, rapportait El Pais du 28 avril 2001. En prévision des conséquences que pourrait entrainer les menaces d'Aznar, une délégation composée de la conseillère du roi Zoulikha Nasri, des ministres des Affaires étrangères et de l'Intérieur, et du chef du cabinet royal, était arrivée à Madrid, fin avril de la même année, pour faire part aux autorités espagnoles des préoccupations du Maroc pour la sécurité des centaines de milliers de travailleurs et résidents marocains à l'étranger qui transitent par le territoire espagnol pour les vacances d'été dans leur pays d'origine. Répondant froidement à la requête marocaine, le gouvernement espagnol a exigé en contrepartie davantage de contrôles de la part de Rabat sur le trafic du haschich et de l'immigration irrégulière. Il a cependant promis de garantir la sécurité des ressortissants marocains durant l'Opération-Transit 2001. Le ton fort des déclarations officielles a laissé place aux médias pour donner libre cours aux journalistes dans les deux pays dans l'échange d'invectives, de critiques et d'inculpations pour la détérioration du climat d'entente qui régnait entre les deux parties. Dans leurs commentaires, les médias espagnols insistaient surtout sur le manque de respect des droits de l'homme et de démocratie au Maroc (El País, 27/3/2001). Les informations et opinions publiées dans les journaux madrilènes parlaient du danger que représenteraient les militaires assumant un rôle politique, (La Razon, 25/3/2001) ; la paralysie du processus de démocratisation (El Pais, 31/12/2001), et le distanciement entre l'Espagne et le Maroc (El Pais, 1/4/2001). Les médias marocains, qui récusaient les accusations contre le Maroc d'agir pour « mercantilisme » dans les négociations de pêche, critiquaient de leur part l'attitude officielle de Madrid et de leurs homologues espagnols pour leurs commentaires négatifs à l'égard des reformes introduites par le jeune roi et le gouvernement de transition, dirigé alors par Abderrahmane Yousfi. Il fallût attendre la fin de 2005, soit six ans après l'expiration du dernier accord de pêche Maroc-UE, pour assister à un nouveau climat d'entente qui caractérisait les rapports entre armateurs marocains et espagnols. Avec le retour des socialistes au pouvoir, la pondération s'est substituée au ton crispé dans les discours officiels. Le secrétaire général socialiste de la Pêche, Juan Carlos Martin Figueiro, a déclaré en décembre 2005, que l'UE et le Maroc allaient atteindre « le plus tôt possible » un accord de pêche qui serait « équilibré » et permettrait à la flotte espagnole de reprendre son activité dans les eaux territoriales du royaume. Cette attitude a été immédiatement appuyée par le conseiller à l'Agriculture et la Pêche au gouvernement régional des Canaries, Pedro Rodriguez, qui plaidait pour un accord qui ne ruinerait pas les ressources maritimes dans le banc poissonneux au large des côtes marocaines. Six mois plus tard, le Maroc a décidé de reconduire l'autorisation exceptionnelle d'opérer dans ses eaux territoriales, qui avait expiré le 17 avril 2003. Les mêmes modalités pratiques et conditions techniques prévues dans l'accord signé, le 23 décembre 2002, ont été maintenues. Il est nécessaire de rappeler que les germes de ce nouveau climat d'entente en matière de pêche se trouvent dans une initiative du roi Mohamed VI qui avait autorisé, le 13 décembre 2002, l'accès à la Zone Economique Exclusive marocaine aux pêcheurs espagnols affectés par la marée noire, provoquée par le naufrage du pétrolier « Prestige ». Le geste du souverain, qualifié alors en Espagne de symbolique et d'inattendu, a été annoncé en pleine crise diplomatique pour permettre à 64 chalutiers de Galice, des Asturies et de Cantabrie (nord) d'opérer durant trois mois prorogeables dans les pêcheries marocaines à partir du 15 janvier 2003. Il suffit dans ce contexte de signaler la réaction de la presse espagnole d'audience nationale qui avait pourtant commenté le geste du Maroc avec différents arguments. Nous nous limitons à signaler l'attitude d'El Mundo (proche d'Aznar) qui s'interrogea : « Qu'a-t-il donc changé pour que tout marche bien » alors qu'El Pais (pro-socialiste) n'avait pas hésité à affirmer qu'il « n'y avait eu aucun type de compensation économique » (14/12/2002). Bien qu'il relève exclusivement de la compétence de la Commission européenne de traiter directement au nom des pays membres de tout aspect relatif aux accords de pêche avec les pays tiers, cette question constitue encore une entorse dans les relations maroco-espagnoles. Curieusement, à quelques jours de l'investiture de Mariano Rajoy, fin décembre 2011, comme nouveau président du gouvernement espagnol, avait surgi en force encore une fois le problème de reconduction du traité de pêche comme une entrave inattendue. Le 14 décembre 2011, le Parlement Européen a voté contre la prorogation de l'accord de pêche entre le l'UE et Rabat, qui devait expirer en février 2012 et dont bénéficiait surtout la flotte espagnole. En vertu de cet accord, en vigueur depuis 2003, un total de 119 licences avaient été attribuées à la flotte de pêche européenne (100 pour les espagnols) en plus d'une quotte part additionnelle pour la capture de certaines espèces tels les anchois, maquereaux ou harengs, qui a porté le nombre de bénéficiaires à 138 embarcations. En contrepartie, l'UE avait versé au Maroc 36,1 millions d'euros. Les bateaux d'Andalousie et des Canaries ont été les grands bénéficiaires de la mise en marche de cet accord. Pour les eurodéputés, le futur accord devra contribuer au développement du secteur halieutique du Maroc en prévoyant des programmes de formation et aides à la flotte locale. S'agissant du respect des ressources propres au large du Sahara, la résolution atteinte sur consensus entre les eurodéputés populaires, socialistes et libéraux, demande que soient respectés le droit international et les ressources de la population locale. Tous les eurodéputés espagnols, à l'exception de Raul Romeva (Inicitaiva Per Catalunya), ont défendu durant le débat le projet de résolution relatif à la prorogation à condition que l'accord de pêche ne soit l'occasion de noyer la situation au Sahara. Les 27 pays membres de l'UE ont, de leur côté demandé, le 20 décembre 2011, à la présidence tournante qu'elle communique officiellement au Maroc la « fin immédiate » de la prorogation provisoire devant l'impossibilité, indique un bref communiqué rendu public à Bruxelles, d'approuver la conclusion de l'accord qui détermine les possibilités de pêche pour la flotte communautaire et la compensation économique. Il s'agit du dernier pas pour formaliser la décision de suspendre les négociations sur la prorogation bien que les pêcheurs de l'UE s'étaient retirés des zones de pêche le jour même où les eurodéputés eurent voté contre le régime de pêche. Les autorités marocaines avaient de leur côté sommé les chalutiers communautaires de cesser d'opérer dans leurs eaux à partir de minuit de la journée du 14 décembre 2012. Le secteur halieutique espagnol n'a pu qu'à exprimer sa tristesse et impuissance devant la décision de l'UE. Il s‘est déclaré disposer à se mobiliser pour exiger de son gouvernement d'engager des négociations directes et bilatérales sur la possibilité de retourner dans les eaux marocaines. C'est le cas de l'Assemblée Provinciale de Cadix qui avait adopté à l'unanimité, le 21 décembre 2011, une initiative dans laquelle elle demandait la réactivation de la prorogation de l'accord de pêche. Comme nous l'avions vu dans les précédentes sections de ce chapitre, cette situation démontre à tel point la question de la pêche est pérenne dans les relations bilatérales depuis le XVIe siècle et continue d'être un volet important dans le rapprochement entre les deux pays. A suivre ...