Les commentaires, manifestations et réactions en Espagne depuis l'annonce par l'Union Européenne de la non reconduction de l'accord de pêche avec le Maroc, en décembre dernier, démontrent les grandes contradictions qui couvent dans les milieux économiques espagnols. D'une part, le secteur halieutique mène une campagne tous azimuts pour le retour dans les eaux marocaines, de l'autre, le secteur agricole bouge sur tous les fronts pour empêcher l'entrée dans l'espace européen des tomates marocaines. Cette dichotomie se transforme en une tragi-comédie lorsque de hauts responsables du nouveau gouvernement conservateur et aux gouvernements régionaux concernés prennent la défense de la cause des pêcheurs et ignorent en même temps les intérêts des exportateurs marocains de tomates. Jeudi, le ministre de l'Agriculture, l'alimentation et l'environnement, Miguel Arias Canete, a annoncé qu'il allait demander, mercredi prochain,à la Commissaire de pêche de l'UE d'activer les négociations sur un nouvel accord de pêche. Il compte également solliciter la mise en pratique de mesures compensatoires au profit de la flotte de pêche amarrée suite au refus de l'UE de proroger le dernier accord avec le Maroc. Cette nouvelle a insufflé de l'espoir en le secteur halieutique espagnol. Canete a de même affirmé qu'il est « une priorité du gouvernement que soient reprises le plus tôt possible les conversations avec le Maroc pour atteindre un nouvel accord qui concerne 64 chalutiers espagnols et 500 postes d'emploi directs ». Dans l'autre volet de sa déclaration, le ministre espagnol s'est engagé à défendre en même temps «une politique agraire commune qui soit adaptée à la situation du secteur agricole» de son pays. «Pour le gouvernement d'Espagne, cette négociation est une priorité politique, une ferme option pour élaborer en compagnie des organisations agraires et les gouvernements régionaux des stratégies plus efficientes», a expliqué le ministre espagnol. Parallèlement à cet engagement politique, Canete reconnaît que son pays est le second bénéficiaire d'aides de l'UE dont le montant s'élève à 7,5 milliards euros annuellement. En insistant sur la rénovation de l'accord de pêche avec le Maroc, les industriels halieutiques espagnols font un exercice de pragmatisme qui conduit à des opérations rentables pour le secteur. De manière, lit-on dans un rapport élaboré par le Département d'Agriculture du gouvernement régional d'Andalousie, la pêche dans les eaux territoriales marocaines rapporte des recettes annuelles de 21,37 millions euros uniquement pour la flotte andalouse. Ce chiffre a été calculé sur la base d'une comparaison entre la période de 2002-2007 (sans protocole de pêche) et celle comprise entre 2007 et 2011 avec des chalutiers andalous au large des côtes marocaines. A titre d'exemple, chaque bateau de la province de Cadix (Algésiras, Barbate, Tarifa) avait généré des gains de 3.523 euros par marin, soit 41% de plus par rapport au reste des marins. De même les émoluments de chaque pêcheur, qui opère au Maroc, s'élèvent à 600 euros par semaine soit le double de ceux de tout autre marin dans la baie de Cadix. Un tel salaire est une raison suffisante pour revendiquer par tous les moyens possibles la rénovation de l'accord de pêche Maroc-UE. L'autre face de la monnaie cache une autre stratégie, un double discours et une opposition farouche aux négociations maroco-communautaires sur la rénovation de l'accord agricole. Cette contradiction est assumée, malheureusement, par des dirigeants politiques qui pêchent dans le populisme, tels lesprésidents du Parti Populaire en Andalousie, Javier Arenas (au pouvoir) et de la communauté autonome de Murcie (PP). Ce sont deux voix autorisées du PP qui expriment des positions de stratégie politique. Ils se sont déclarés, mercredi, «opposés» à ce que le Protocole Agricole d'Association de l'UE avec le Maroc soit ratifié dans les conditions actuelles. Ils font ainsi sienne la position du lobby anti-marocain dirigé par la Fédération Espagnole d'Associations de Producteurs Exportateurs de fruits, Légumes, Fleurs et Plantes Vives (FEPEX). Pour les deux dirigeants “populaires”, le nouvel accord agricole Maroc-UE sera “nocif » pour le secteur horto-fruitier espagnol. FEPEX qui mène, chaque année, une campagne contre les exportations agricoles marocaines vers l'UE affirme que la non reconduction de l'actuel accord dans les mêmes conditions va devenir une « question d'Etat ». Même attitude est adoptée par le secteur tomatier aux Iles Canaries, à Valence et en Andalousie. Le double discours des industriels espagnols place les relations politiques entre les gouvernements de Rabat et de Madrid dans une position délicate. Il ressuscite en fin de compte les démons des années précédentes avec pour toile de fond des campagnes de boycott des produits marocains dans un marché libre.Les entrepreneurs espagnols sont appelés à admettre que le poisson et la tomate marocains portent la même marque d'origine.