«España - Marruecos : Heridas sin cicatrizar» (Espagne-Maroc : plaies non cicatrisées) est le titre d'un essai sociologique qui vient de paraître en espagnol à Madrid. Ecrit par le journaliste-sociologue marocain, Mohamed Boundi, l'ouvrage décortique le discours des médias espagnols sur le traitement de la question marocaine et explique les causes qui motivent la persistance dans le temps et dans l'imaginaire collectif espagnol d'un ensemble de préjugées, stéréotypes et images déformées de la société marocaine. (p. 104-110) L'historienne espagnole Ma Rosa de Madariaga, qui se réfère à de récentes statistiques officielles, affirme que le Rif se distingue par le taux le plus haut de cas de cancer diagnostiqués au Maroc. Bien qu'elle soutienne qu'il est difficile de démontrer que les victimes des bombardements, dans les années 20 du siècle passé, aient transmis génétiquement le cancer à leurs descendants, elle affirme que les rifains ont logiquement le droit de dénoncer, 90 ans plus tard, les bombardements de l'aviation espagnole avec des gaz toxiques. Dès 1921, les combattants rifains étaient au courant de la possession par les espagnols de gaz toxiques mais à cette date seraient utilisés des gaz lacrymogènes. Ce qui est certain est que la participation de 160 appareils de l'aviation espagnole avait joué un rôle décisif lors du débarquement d'Al-Hoceima, le 8 septembre 1925, des troupes espagnoles et françaises pour avancer vers le fief d'Abdelkrim. Pour des raisons non encore clarifiées, nulle allusion n'a été faite à l'action de l'aviation dans la Guerre du Rif. Pour leur silence, journalistes, intellectuels et cinéastes de l'époque et durant le franquisme se considèrent comme complices dans la conspiration contre la vérité historique. Par cette attitude, ils ont étouffé l'intervention de l'aviation dans le conflit dans le but de ne pas sous-estimer la valeur de l'armée sur le terrain et préserver l'honneur. Dans leurs chroniques, les journalistes de guerre avaient mentionné la perte de 63 appareils abattus par les rifains et 54 autres dans des accidents. Quant à l'utilisation de gaz toxiques, la plupart des informations se basaient sur les témoignages des victimes ou personnes qui avaient pu constater leurs effets sur la population autochtone, écrit le chercheur britannique Sébastian Balfour dans son ouvrage (trad.) « Accolade mortelle. De la guerre coloniale à la Guerre civile en Espagne – 1909-1939 » (Péninsula, 2002). Le dénouement de l'imbroglio de la guerre du Rif pour l'armée espagnole est intervenu en avril 1925 à la suite d'une erreur tactique commise par des combattants rifains en prenant pour cible un détachement de l'armée française au village de Béni Zeroual, sur la rive d'Ouarga. Cet incident fut considéré par les gouvernements français et espagnol comme un argument suffisant pour coordonner les stratégies militaires contre la République d'Abdelkrim et signer le Traité de Madrid, en juillet 1925. Les deux puissances coloniales ont entrepris, pour la première fois, une action concertée qui va marquer le début de la fin de la résistance dans le Rif en engageant dans les combats l'aviation, l'infanterie et des forces navales. Le 26 mai 1926, Abdelkrim s'est rendu aux troupes françaises, un acte qui a été suivi par la reddition de la majorité des membres de son gouvernement. À cause de la chute des noyaux tribaux fidèles aux combattants, s'est éteinte progressivement la lutte armée des rifains contre le colonisateur. La résistance de la population du Rif au colonialisme espagnol a pris officiellement fin le 10 juillet 1927. Ceci serait dû particulièrement à la fermeté dont faisait preuve le nouvel homme fort de l'Espagne, le capitaine général de Catalogne, Miguel Primo Rivera, de vouloir résoudre les problèmes en suspens au Maroc avant d'entreprendre des réformes internes dans sa dictature (1923 - 1930). S'appuyant sur sa popularité aux plans politique et populaire, il s'est réconcilié avec la société civile et l'armée, lasses des guerres, ainsi qu'avec les entreprises opérant au Maroc. Il a également promis de mettre un terme aux incommensurables dépenses de guerre au Rif. Historiens, chercheurs et politiques de toutes parts du monde continuent de s'interroger jusqu'aujourd'hui comment s'était organisée la longue résistance d'un peuple inculte, isolé et sans moyens logistiques face à une puissance européenne. La réponse la plus plausible de tout observateur averti serait que le Protectorat espagnol manquait dès le départ d'une unité d'action politique. Nous l'avons constaté, par exemple, au niveau du Haut Commandement puisque de 1912 à 1925, ont été désignés dix Hauts Commissaires dont huit militaires et deux civils. Durant la même période, la France avait eu seulement en place dans son protectorat un seul Résident Général, le Maréchal Lyautey. Dans ce contexte, il est notoire de relever que durant une courte période de deux ans (1922-1924), à la suite du Désastre d'Anoual, ont été nommés cinq Hauts Commissaires au protectorat espagnol: le général Burguete (1922), Miguel Villanueva (1922, qui n'a pas pu occuper son poste), le général Luís Silvela (1923), le général Aizpuru (1923) et le général Primo de Rivera (1924). L'historien marocain Germain Ayache soutient dans son ouvrage « les Origines de la Guerre du Rif" (SMER, 1981), que l'échec de l'Espagne pendant les premières années de son protectorat s'explique par des raisons d'ordre religieux, politique, social et économiques. La capacité du peuple rifain de lutter sur un terrain qu'il connaît parfaitement, le rejet par la population de toute sorte d'autorité imposée de l'extérieur et l'aspiration de vivre indépendante du pouvoir central étaient des facteurs déterminants. Pour ces raisons, la pénétration coloniale a échoué devant la résistance armée et populaire. Le souvenir du Désastre d'Anoual, ignoré du grand public pendant des décennies, demeure encore gravé sur les esprits de tous ceux qui furent victimes des horreurs et conséquences des atrocités de l'armée. La guerre du Rif (1921-1927) a été brutale et sauvage. Aux attaques des combattants rifains, les soldats espagnols réagissaient immédiatement avec des méthodes plus cruelles. D'autant plus, l'Espagne fait partie de la liste des premières puissances qui ont recouru, durant la guerre coloniale, à l'usage d'armes chimiques contre la population civile. Les enfants, petits-fils et arrière-petit-fils des rifains, arrosés par les gaz toxiques et substances chimiques telle l'ypérite, souffrent encore au début du XXIe siècle des séquelles des bombardements aériens. La guerre avait également coûté la vie à plusieurs dizaines de milliers de soldas espagnols. Les généraux, en dépit des pertes énormes en vies humaines dans les rangs des troupes qui étaient sous leurs ordres, se sont convertis dans les chroniques patriotiques, en héros de guerre pour avoir « sauvé l'honneur de la patrie ». C'est dans ces circonstances qu'avait surgi sur la scène politique, le lieutenant - colonel Francisco Franco, un des chefs de la légion étrangère. Il a dû utiliser, plus tard, les troupes régulières marocaines dans la Guerre Civile non seulement comme chair à canon mais comme une arme psychologique contre le peuple espagnol. De la Guerre du Rif est sorti aussi le Franco de la Guerre Civile qui reconnaissait que « sans Afrique, je ne pouvais m'expliquer moi-même ». Comme tout ce qui affectait le pays se répercutait sur la vie politique, les campagnes militaires au Maroc suscitaient en leur temps un énorme intérêt au sein de la population. La Guerre du Rif avait provoqué la chute de gouvernements, était à l'origine du coup d'Etat du général Miguel Primo de Rivera et avait affaibli la popularité de la monarchie. Durant la guerre et dans les années postérieures, se sont publiés de nombreux ouvrages basés sur la narration de faits marocains. Toutefois, ce thème a été exclu du débat public avec la seule exception de certains intellectuels tels Ramon J. Sender ou Arturo Barea qui l'ont traité avec profondeur dans leurs écrits. Avant de clore ce dramatique chapitre dans les relations entre les peuples marocain et espagnol, nous signalons quatre événements clés qui sont retenus comme transcendants dans les annales de l'histoire militaire espagnole au Maroc et du cours de la Guerre du Rif: Recrutement en 1909 des premiers soldats rifains par l'armée espagnole. Formation en 1911 grâce au soutien de Madrid des « Forces Régulières Indigènes». Création le 28 avril 1920 d'une Légion Etrangère. Création à Tétouan par Décret Royal du 20 mai 1925 des Mehallas Khalifiennes, une force axillaire au service du représentant du sultan à Tétouan (Khalifa). Les quatre corps paramilitaires avaient participé activement au débarquement d'Al-Hoceima qui avait permis aux forces espagnoles et françaises de réduire la résistance rifaine et encercler Abdelkrim et ses combattants. Pendant la guerre du Rif, a été aussi créée à l'initiative du lieutenant-colonel Millan Astral, la Légion Etrangère comme une nouvelle force de choc pour limiter la dépendance de l'armée des forces régulières (considérées peu loyales pour être constituées de rifains), et aussi pour limiter les énormes pertes en vies humaines de l'armée. Le Haut Commandement avait opté pour la mise sur pied d'un tel corps dans le but d'utiliser des autochtones comme instrument de guerre pour terroriser et exterminer la population rifaine. Dans son ouvrage (trad.) « Les moros que Franco a emmenés" (Martinez Roca, 2002), l'historienne Ma Rosa De Madariaga décrit une partie des horreurs commises dans le Rif par ces corps: “les violations, les vols, les razzias et le pillage faisaient partie de la guerre coloniale pratiquée au Maroc. Dans ce contexte, durant la guerre du Rif (1921-1927), une fameuse photographie, largement reproduite dans la presse de l'époque, montrait plusieurs légionnaires qui portaient dans leurs mains les têtes coupées de combattants rifains (...). Les mutilations, spécialement de têtes, d'oreilles et testicules étaient des pratiques habituelles au sein de la Légion et des Réguliers ». Le Haut Commandement s'appuyait aussi sur les services des Mehallas qui agissaient avec une extrême cruauté contre les combattants d'Abdelkrim. Ce corps avait révélé son visage le plus cruel durant le débarquement d'Al-Hoceima, le 8 septembre 1925. Bénéficiant de l ‘impunité pour les actes commis sur la population civile, les unités des Mehallas Khalifiennes s'adonnaient spécialement aux razzias, au vol et aux violations dans les villages qui soutenaient la résistance. Malgré le mandat attribué à l'Espagne comme puissance protectrice de la population, ce type de châtiment était prévu au Règlement Provisoire et des Organisations des Mehallas qui permet également de dépouiller les fidèles à Abdelkrim de leur élevage et cultures. A suivre ...