En ce début du mois de ramadan, les marocains installés en Espagne sont confrontés aux affres de l'éloignement de la patrie, la dureté de la vie dans le pays d'accueil et à une foule de faux préjugés qui les cataloguent comme une main d'œuvre peu qualifiée et une immigration économique à la dérive. Cependant, il existe une catégorie de marocains en rupture de cette image stéréotypée, qui ont réussi à se forger une nouvelle identité comme intellectuels engagés en défendant des principes et idéaux s'inscrivant dans la doctrine des droits de l'homme, l'égalité entre autochtones et étrangers et le respect de la pluralité culturelle. L'attachement aux percepts de l'islam leur attribue en outre considération et admiration de la part de la société d'accueil. C'est pour cette raison, il est judicieux de donner la parole, en ce mois sacré de ramadan, à certains marocains qui ont frayé leur chemin en silence et loin des associations folkloriques. Ils donnent l'exemple de la nouvelle génération de marocains cultivés qui sont au fait de l'actualité de leur pays et du monde et qui ont réussi à parfaire leur formation en investissant des centaines d'heures d'apprentissage aux facultés, instituts de recherche et associations culturelles. Hicham Amraoui (Ouazzane, 42 ans), un journaliste professionnel installé depuis plus de 12 ans en Espagne, fait partie de cette catégorie. Au départ, il caressait le rêve de reprendre la publication à Madrid de son journal « Fossoul Asilah » pour informer les collectifs marocain et arabe et défendre leurs droits à l'égalité sur le marché du travail, à une vie digne et les causes nationales. Muni d'un visa touristique, il a débarqué en Espagne en septembre 2000, dans des circonstances spéciales. Il est resté attrapé, comme tout autre marocain (et immigré), dans le labyrinthe de la bureaucratie, de la régularisation des conditions de résidence et de la quête d'un emploi digne. C'est un perpétuel combat pour réussir l'intégration dans le pays d'accueil, vaincre les problèmes quotidiens de survie dans une société de consommation et l'adaptation au nouveau style de vie. « Au départ, j'ai été obligé d'intégrer le mouvement associatif pour la promotion de l'immigré marocain dans le tissu social après avoir abandonné le foyer familial à Assilah et tenter une nouvelle expérience de convivialité dans le pays d'accueil où « l'Autre » est vu comme un adversaire sur le marché du travail et un intrus dans l'espace public », a confié Amraoui à Albayane dans un entretien à bâtons rompus dans son minuscule appartement au quartier Ciudad Linéal juxtaposant le grand Centre Culturel Islamique de Madrid, dit Mosquée M-30. « J'étais porteur d'un ambitieux projet médiatique, Fossoul Asilah, un journal qui avait fait fortune à la fin des années 90 au début de la transition démocratique au Maroc. Je n'ai jamais cessé de caresser l'espoir de diriger un journal en Espagne qui reflèterait les souffrances et les angoisses de l'immigré marocain», a-t-il déploré en citant les difficultés d'ordre financier qui se sont plantées devant la concrétisation de ce projet. C'est la raison pour laquelle il a dirigé, durant deux ans, le programme « Horizons arabes » à la Radio Babel FM. « Ma mission était d'informer les communautés marocaine et arabe de tout ce qui se passe dans leurs pays et les sensibiliser aux procédures d'accès aux papiers en règle pour résider et travailler régulièrement en Espagne, les conditions d'insertion professionnelle », a-t-il signalé. De même, Radio Babel « m'avait offert l'opportunité d'interviewer des personnalités du monde politique, tel l'ex-ministre espagnol des relations extérieures, Josep Piqué, de grands acteurs du cinéma espagnol et des hommes de lettres. « C ́était aussi l'occasion d'expliquer à l'opinion publique espagnole la justesse des fondements des causes nationales, les dures conditions de séjour et de travail des immigrés et l'exploitation de la main d'œuvre étrangère à vil prix ainsi que l'angoisse causée par un futur incertain dans un marché de travail instable », a dit Amraoui qui a qualifié cette mission de militantisme positif. Et d'ajouter : « j'ai contribué à la défense des causes nationales, telle celle du Sahara, soit en tant que militant de la gauche marocaine installé en Espagne soit en tant qu'intellectuel engagé dans la promotion des droits de l'homme et de la démocratie ». D'autant plus, lors d'une interview avec l'acteur espagnol Javier Bardem, un pro-Polisario « j'ai expliqué que le Maroc a le plein droit de défendre son intégrité territoriale en dépit du vacarme causé par certains courants d'opinion espagnols ». Amraoui a dû parfaire sa formation universitaire en renforçant son curriculum vitae d'un diplôme de « médiateur social », d'un autre sur « la lutte contre le blanchiment d'argent sale » et d'un master sur le marketing parallèlement à la direction d'ateliers de formation sur la participation sociale. Ayant vécu le boom économique en Espagne (2000-2007) et fort d'une expérience professionnelle dans le marketing, la communication et la gestion des transferts d'argent des marocains, Amraoui s'est lancé dans le monde des affaires pour prouver qu'il n'est pas « un immigré économique ». « Au contraire, je suis capable de piloter un projet entrepreunial, créer des opportunités d'emploi et transférer la technologie au Maroc », a souligné dans un ton catégorique comme s'il voulait désavouer les fausses images qui cataloguent les marocains comme étant des immigrés peu qualifiés. Ceci est corroboré par les relations multiformes tissées durant plus d'une décennie avec le monde des médias, des militants de partis politiques et syndicats qu'il a utilisées souvent pour instaurer des canaux de communication entre des dirigeants politiques et de médias au Maroc et leurs homologues espagnols. A une question en rapport avec sa vie quotidienne durant le ramadan, Amraoui se déclare « un fidèle adepte du Centre Islamique de Madrid, la grande mosquée d'Espagne où je côtoie la communauté musulmane dans toutes ses affinités ». Durant la journée, explique-t-il, « ma mission se résume en les contacts avec les supermarchés, les entreprises et fondations pour préparer le panier du ftour », a confié Amraoui qui se dit « un fervent croyant dans un pays qui respecte la liberté confessionnelle ». Le ramadan est un mois qui offre au fidèle des moments de profonde quiétude, mais aussi « l'occasion de récupérer le temps perdu et reprendre la lecture d'œuvres de la littérature classique, des écrits de nouvellistes et poètes marocains », a dit Amraoui qui rappelle l'acquisition récemment des recueils de Driss Allouch, dont « Attifl al bahri « (l'enfant de la mer), et du « Lobo », un ouvrage sur l'histoire de l'organisation séparatiste basque ETA d'Antonio Rubio et « Sa akhounou watani (Je vais trahir ma patrie) du romancier syrien Mohamed El Maghout. A partir de sa « Fondation Fossoul », Amraoui aspire à briser le concept de « ghétisation » des immigrés et démonter que le marocain est préparé pour triomphe aussi en Espagne dans le monde des affaires. A travers ce parcours, il est démontré que Hicham est l'exemple de l'immigré pleinement intégré dans la société d'accueil qui agit comme un acteur social dynamique en faveur de la convivialité, la solidarité et la compréhension entre les peuples. De nombreux autres marocains font partie de la même caste. Ils travaillent dans de pénibles conditions, partagent les peines de l'éloignement de la patrie et aspirent à retourner, un jour á l'issue de leur projet migratoire, pour triompher dans leur propre pays.