Il est surprenant de constater que le collectif marocain, le plus nombreux des étrangers résidant en Espagne, ne dispose pas actuellement de canal de communication propre. Contrairement aux Chinois, Roumains et Latino-américains en général, les Marocains sont orphelins en cette matière et assument avec résignation cette réalité en consommant les produits médiatiques locaux particulièrement le contenu de la presse écrite. Cette singulière situation interpelle tout chercheur pour s'interroger sur les entraves qui se plantent devant la concrétisation d'un projet médiatique dirigé par des Marocains pour informer leur communauté. Des expériences ont été certes tentées dans ce domaine mais n'avaient pu durer dans le temps pour de multiples raisons. Dans l'analyse de cette problématique, il est judicieux d'explorer l'hémérothèque et d'autres ressources, telles l'interview en profondeur avec des professionnels ainsi que les statistiques officielles relatives au collectif marocain en Espagne. Dans l'étude du diagnostic général de ce collectif, il paraît clair qu'il s'agit de la communauté d'immigrés la plus ancienne en Espagne. Pour des raisons historiques et de proximité géographique, les échanges humains ont été fréquents à travers le Détroit de Gibraltar. De même, plusieurs milliers de Marocains étaient venus s'installer en Espagne depuis le début du 20 ème siècle comme conséquence du protectorat espagnol sur le Nord du Maroc pendant 44 ans (1912-1956). D'autres sont venus plus nombreux, surtout à partir des années 80 avec le début du boom économique comme conséquence de la restauration de la démocratie (1978) et l'adhésion à l'Union Européenne en 1986. Selon le dernier rapport démographique actualisé le 28 mai de l'Institut Espagnol de la Statistique (INE), le collectif marocain est en tête des étrangers non communautaires avec 835.188 membres (augmentation de 5,8% par rapport à mai 2011) dont 205.729 affiliés à la Sécurité Sociale (baisse de 6,1% par rapport à mai 2011). Il est aussi le collectif le plus affecté par la crise économique avec 244.199 personnes en quête d'un emploi, dont 76.102 personnes survivent grâce aux indemnités de chômage. Il représente ainsi 34,7% du total des sans-emploi étrangers non communautaires. Il est également le moins encadré au plan culturel en comparaison avec d'autres collectifs du fait qu'il ne dispose ni de Maison du Maroc, ni de centre culturel ni de centres socio-éducatifs ni de support d'information propres. A l'exception du journal numérique Andalus Press (en arabe), quelques sites web, dirigés et gérés par des marocains, diffusent leurs bulletins selon une fréquence irrégulière. L'analyse de la question des médias d'immigrés de création marocaine, se plante une triple difficulté. D'abord, il existe peu d'études empiriques sur les Marocains et la consommation des médias en Espagne. Ensuite, le collectif marocain est constitué majoritairement d'immigrés économiques avec un bas niveau éducatif et un faible pouvoir d'achat. Enfin, l'indice de lecture de la presse chez les Marocains est très bas. Il est logique dans ces conditions, pour tout chercheur, de s'interroger sur les difficultés qui se plantent devant tout projet de création de médias marocains.Genèse de médias marocains en EspagneLa communauté marocaine n'a jamais eu un moyen de communication propre d'audience nationale en Espagne. Les premières tentatives volontaristes et sporadiques de créer des journaux, dignes d'être cités, sont à situer au début des années 2000. Plusieurs autres expériences ont été également tentées sans succès à l'initiative d'individus ou d'associations d'immigrés à partir de cette date dans la mesure où la plupart des journaux sont restés à leur numéro « zéro », tels “almouhajir” (l'immigré), “attaouassoul” (liens) ou “mujer marroqui” (femme marocaine). Il est désormais impossible de localiser dans les hémérothèques des exemplaires de ces publications pour la simple raison qu'elles n'avaient pas été commercialisées. C'est la raison pour laquelle, les immigrés marocains recourent pour s'informer aux médias locaux du pays d'accueil et ceux édités par des arabes non marocains. Dans ce contexte, deux tentatives exemples sont à citer. D'abord, la revue Al-Andalous, qui a édité 112 numéros, a été créée en 1985 par un journaliste palestinien. Elle est distribuée aux institutions gouvernementales, chambres de commerce et organisations arabes et traite des relations hispano-arabes, questions économiques et culturelles, et de l'immigration particulièrement marocaine. Un autre journal mensuel, Rif Y Mas, en espagnol et de format tabloïde et édité entre 2000 et 2002 par un espagnol de Melilla de parents marocains, avait un tirage moyen de 1.200 exemplaires. Il se distribuait aux points fréquentés par les Marocains tels les boucheries Halal, les mosquées et restaurants gérés par des Marocains.Tentatives de professionnels marocainsL'expérience marocaine peut-être étudiée à travers deux cas particuliers: marruecosdigital.com et Mon Afrique, médias qui furent dirigés par des journalistes professionnels marocains résidant en Espagne. Marruecosdigital.com est le premier journal numérique édité et dirigé par un Marocain à partir de Madrid entre septembre 2002 et avril 2003. Média bilingue (français-espagnol) qui avait diffusé 200 éditions, était visité en moyenne par 3.000 internautes au cours de la semaine et 40.000 durant le weekend, selon les statistiques de la plateforme Periodistadigital.com qui l'hébergeait. Sa rédaction se composait d'étudiants doctorants de la Faculté des Sciences de l'Information de l'Université Complutense de Madrid. Il était un média autofinancé qui éditait sans support publicitaire ni appui institutionnel, une des causes qui avaient rendu impossible la possibilité d'engager des journalistes permanents pour assurer l'actualisation permanente de son contenu. « Mon Afrique » est la première revue dirigée par un professionnel marocain, Hicham Amraoui, qui a pu bénéficier de l'appui financier d'une agence spécialisée dans les transferts des immigrés durant sa courte vie de six mois (Février – juillet 2006). Edité en langue française, la revue (40 pages en couleurs) a eu un tirage moyen de 50.000 exemplaires et était distribué dans l'ensemble du territoire espagnol. Traitant de l'actualité générale axée sur l'Afrique et l'immigration en Espagne, la revue bénéficiait de la collaboration d'intellectuels africains. Malheureusement, pour des rasions stratégiques, a confié Hicham Amraoui à Albayane, l'agence éditrice coupe le financement de la revue pour lancer une station radio destinée aux immigrés et dirigée par le directeur de la même publication. Mon Afrique a souffert du manque de journalistes professionnels et de soutien de la part de l'administration espagnole et des banques marocaines. Pourquoi un média de création marocaine ne peut-il pas prospérer en Espagne ? Compte-tenu de l'étude des expériences tentées, les causes peuvent être attribuées, affirment des professionnels dans des entretiens en profondeur avec Albayane, à la crise de lecture de presse dans les milieux d'immigrés marocains pour leur bas niveau éducatif et salarial, à l'attitude des institutions marocaines dépourvues de culture de marketing et de publicité pour véhiculer leur image et aux risques d'investissement dans un média. D'autres causes objectives doivent être également prises en considération telles l'absence d'intérêt de la part des banques marocaines pour la promotion de moyens de communication en dépit des importants transferts de leurs clients immigrés, l'instabilité du marché de l'emploi et la difficile conjoncture pour lancer un média pour marocains en Espagne.