La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires est le titre du nouveau livre initié et réalisé sous la direction du Centre d'Etudes Internationales* (CEI), paru aux éditions LGDJ le 24 avril 2012 et distribué au Maroc depuis le mois de juin 2012 par La Croisée des Chemins. Dans cet ouvrage collectif, Zouhair Aboudahab** étudie la portée de la reconnaissance de la diaspora marocaine par le nouveau texte constitutionnel. Pour la première fois dans l'histoire constitutionnelle du Maroc, la diaspora est saisie explicitement par la Constitution, qui lui dédie plusieurs dispositions. Certes, le constituant a dû, ainsi, emboîter le pas à quelques autres Etats dans le monde tels, l'Italie, la France, la Chine ou encore la Turquie, mais sa démarche a indéniablement des racines plus profondes. Le royaume est en effet doté d'une forte diaspora estimée à près de 5 millions de personnes dans le monde et qui connaît des mutations majeures depuis quelques années. A l'ancien travailleur mû par le « mythe du retour » au pays, s'est substitué un nouveau visage de l'émigration marocaine : les émigrés se sont enracinés dans les Etats où ils résident et sont devenus bien souvent leurs nationaux également. Ils y ont leurs enfants et petits-enfants, eux-mêmes détenteurs de la nationalité marocaine par l'effet du droit marocain de la nationalité. L'émigration marocaine s'est aussi féminisée, notamment par le jeu du regroupement familial ; elle a de même vieilli, présentant des figures de retraités vivant dans « l'aller-retour » entre leurs pays de résidence et le Maroc. Elle fait montre, en outre, de profils plus instruits et qualifiés, insérés dans les secteurs économiques, scientifiques et sociaux les plus divers des pays de résidence, y exerçant parfois des fonctions ou mandats politiques d'importance. A la mesure de sa diversification et dispersion à travers le monde (Europe, Amérique, Afrique, Moyen-Orient, etc.) et de sa sédentarisation, la diaspora marocaine démontre, corrélativement, un fort attachement à son pays d'origine et à sa « marocanité », comme en témoignent ses actions associatives pour le développement local au Maroc, ses investissements, ses transferts de devises, de savoir-faire scientifique et technique ou encore ses actions culturelles et ses visites familiales et privées plus que jamais facilitées par le développement des moyens de transport. A la mesure de son implication marocaine, la diaspora marocaine exprime parallèlement des besoins et revendications diverses. Elle s'inscrit plus que jamais dans ces nouvelles mutations du phénomène migratoire qualifiées de « transnationalisme », traduisant des réalités de double appartenance et d'identité plurielle, impliquant une citoyenneté double. C'est dire qu'aujourd'hui sa diaspora représente pour le Maroc un immense enjeu géopolitique. Les pouvoirs publics marocains, au plus haut degré, ne pouvaient ignorer ces grandes mutations, qu'ils se doivent d'accompagner en vue d'impulser les bases d'une politique publique diasporique de dimension moderne, comme en témoigne le discours fondateur du roi Mohammed VI du 6 novembre 2005, consacré en grande partie à la diaspora marocaine. Conscient de ses revendications citoyennes et de sa volonté - exprimée de longue date - de contribuer à la transition démocratique et à la vie politique au Maroc, le constituant de 2011 n'a pas manqué de se saisir du Marocain résidant à l'étranger dans sa dimension de citoyen politique, auquel il a explicitement reconnu les « droits de pleine citoyenneté ». L'examen du texte constitutionnel montre une avancée significative dans ce domaine par la proclamation du droit de vote et d'éligibilité de la diaspora à toutes les élections, nationales et locales. Aux fins d'effectivité, il est prévu que le droit de vote soit exercé par la diaspora depuis les pays où elle réside. Par ailleurs, le constituant lui a dédié des dispositions visant à encourager sa participation aux institutions consultatives et de bonne gouvernance au Maroc. Une analyse comparative et plus poussée de la Constitution et ses premières mises en pratique conduit, toutefois, à observer que la citoyenneté politique reconnue aux Marocains résidant à l'étranger demeure imparfaite, inachevée, notamment parce que les droits dits de « pleine citoyenneté » comportent une sérieuse limite : aucune représentation politique - par exemple parlementaire - ou institutionnelle propre - notamment au Conseil économique, social et environnemental - n'a été instituée au bénéfice des « Marocains de l'extérieur », contrairement à ce qu'il en est dans un certain nombre de pays à forte diaspora (France, Italie, etc.). De plus, dans le contexte des élections législatives anticipées du 25 novembre 2011 et à travers la loi organique n° 27-11 promulguée par le dahir n° 1-11-165, du 14 octobre 2011, le législateur n'a consacré dans le chef de la diaspora qu'un droit de vote par procuration - très largement « boudé » par elle - mettant ainsi en œuvre de manière extrêmement timide le nouveau texte constitutionnel, avec l'onction du Conseil constitutionnel. Plus innovantes apparaissent, en revanche, les dispositions de la nouvelle Loi fondamentale forgeant un cadre constitutionnel engageant le Maroc à des degrés variables aux fins de bonne gouvernance de sa diaspora. Le constituant a fixé en effet, à l'intention des pouvoirs publics, des « objectifs constitutionnels» allant de l'obligation d'œuvrer à la protection des Marocains de l'étranger et de leurs intérêts légitimes - dans leurs pays de résidence tout autant qu'au Maroc - à la préservation de leur «identité nationale», sans méconnaître leur éventuelle « double citoyenneté», en passant par le devoir d'encourager leur contribution au développement de leur pays d'origine et au tissage de liens d'amitié et de coopération avec leurs pays de résidence. Si l'intensité normative et l'«invocabilité» de ces dispositions par la voie de l'exception d'inconstitutionnalité paraît peu certaine, le contrôle de constitutionalité a priori, pour peu qu'il en soit fait bon usage, pourrait à l'avenir conduire la nouvelle Cour constitutionnelle à forger progressivement les éléments d'un véritable statut constitutionnel de la diaspora. Aussi, la constitutionnalisation du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME) relève du même mouvement engageant le Maroc dans une dynamique tendant à une bonne gouvernance en matière de diaspora. Il n'en demeure pas moins que le CCME, dont l'intérêt n'est pas à nier, souffre d'un manque de transparence et de représentativité démocratique ; sa réforme s'impose, y compris au regard de l'esprit et de la lettre du texte qui lui a donné naissance, en l'occurrence le dahir n° 1-07-208 du 21 décembre 2007. Au final, la question de la pleine reconnaissance des Marocains résidant à l'étranger demeure posée et, au premier chef, leur droit à une citoyenneté politique réelle et rénovée. Les politiques publiques à venir ne pourraient en faire fi, nonobstant les écueils qui la sous-tendent, sous peine de confiner la diaspora marocaine dans la seule citoyenneté « économique » ou « sociale », et donc dans une citoyenneté amputée, dite de « seconde zone ». Le nouveau cadre constitutionnel reste néanmoins un puissant outil pour de grandes avancées en la matière à condition, toutefois, que les nouveaux acteurs chargés de le mettre en œuvre - dont les pouvoirs, exécutif et législatif - et de l'interpréter - spécialement le pouvoir judiciaire - s'y emploient pleinement. Assurément, la question diasporique contribuera encore à enrichir la réflexion sur le modèle démocratique à l'œuvre au Maroc, l'invitant à mieux intégrer les apports et singularités de l'«autre», ce Marocain d'ailleurs, pour le plus grand bien du Maroc. ( Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. La conflictualité structurant la zone sahélo-maghrébine constitue également l'une de ses préoccupations majeures. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. (( Zouhair ABOUDAHAB est avocat à la Cour d'appel de Grenoble. Spécialisé dans les questions de droit migratoire international et de droit international privé, il est membre du Comité de rédaction de la revue Ecarts d'Identité.