Indispensable, contrainte et urgente à la fois, la réforme de la Caisse de compensation est d'une « exceptionnelle gravité ». A l'ordre du jour depuis plusieurs années, elle a été annoncée par Nizar Baraka, alors ministre des Affaires générales et de la gouvernance, dans le gouvernement El Fassi, puis reportée, la Caisse de compensation divise les décideurs politiques, aussi bien dans la majorité que dans l'opposition. La décision prise par le chef du gouvernement de décompenser les prix des carburants, comme première mesure dans la perspective d'une réforme progressive de la Caisse, n'est pas passée sans susciter des interprétations diverses voire opposées et des mouvements de protestation chez les professionnels du transport, soutenus par les trois principales centrales syndicales (CDT ; FDT et UMT). Il est, certes, difficile de mesurer la portée de cette mesure. En théorie, toute hausse des prix du carburant induit une hausse automatique des prix des produits de consommation. Pour l'instant, sur le marché, les prix commencent déjà à prendre une certaine bulle sans commune mesure avec les impacts prévus par les officiels. Pour Mohamed Najib Boulif, ministre en charge des Affaires générales et de la gouvernance, «le gouvernement n'acceptera pas une hausse illégale des prix sous prétexte de l'augmentation récente du prix du carburant ». Répondant à une question orale à la Chambre des Représentants, le ministre, dont les propos ont été rapportés par l'agence Map, dit ne pas admettre que «le citoyen puisse être victime des spéculations comme il n'acceptera pas qu'on profite de la hausse récente des prix du carburant pour augmenter les prix du transport des personnes et des marchandises». Difficilement convaincante, la réponse du ministre ne dévoile rien quant aux mesures d'accompagnement à mettre en place pour éviter l'inquiétude ambiante dans le Maroc d'en bas. La question n'est pas de remettre aux calendes grecques la réforme de la caisse ou de retarder la vérité des prix, mais de s'interroger sur la capacité du gouvernement à activer d'autres leviers, en l'occurrence les exonérations fiscales accordées aux promoteurs immobiliers et aux professionnels de l'agriculture, qui se chiffrent à plus d'une dizaine de milliards de DH, dans l'actuelle loi de Finances. Il est incontestable que la Caisse de compensation pose un réel problème. Les dépenses sont passées, d'après les chiffres publiés dans le rapport économique de la loi de finances 2012, de 4,9 milliards DH en 2001 à 26,3 milliards en 2010, après avoir atteint un pic à près de 31 milliards DH en 2008, en raison de la flambée des cours du pétrole sur le marché international. A vue d'œil, cette croissance exceptionnelle de la charge de la compensation pèse sur le budget de l'Etat et devient insoutenable à mesure que les cours du pétrole montent et les prix à la pompe demeurent stables. Une gabegie qui ne profite au final qu'aux plus nantis. En 2011, la charge nette de la compensation a titillé les 50 milliards DH, alors que les crédits alloués à la Caisse ne dépassaient guère les 17 milliards DH. Cette année, ces dépenses risquent de franchir le seuil des 60 milliards DH. De toute évidence, la politique de soutien des prix intérieurs des produits de base (farine, sucre et produits pétroliers) devient insoutenable au niveau des finances publiques, alors que son utilité sociale est, depuis longtemps, fort décriée. Paradoxalement, les décideurs politiques, par intérêt politique sans doute, ont peiné à trouver la formule magique pour arrêter cette saignée. Pourtant, tout le monde savait que la Caisse de compensation ne servait finalement qu'à soutenir la propension à consommer des ménages à fort pouvoir d'achat, donc les riches. Les pauvres, eux, peuvent se débrouiller. La myopie est totale. Pour arrêter le gaspillage et rationaliser les dépenses publiques, il y a fort à faire. Le gouvernement pourrait, par exemple, regarder du côté du train de vie de l'Etat, réduire quelque peu les volumes des importations dites accessoires (bateaux de plaisance, voiture de luxe... et toute une série de produits coûtants, polluants et insignifiants en termes de création de valeur. L'Etat serait-il incapable de donner le bon exemple ? Il est clair que la réforme dont il est question se fait toujours attendre. Elle passe par un débat public franc et patriote, en impliquant toutes les forces vives du pays (partis politiques, syndicats, société civile...). La réforme est obligatoire mais difficile. Ce qui suppose plus de courage et plus de pédagogie pour la faire aboutir. Comme dirait l'autre : «Tout ce qui ne sera pas entrepris dès maintenant ne pourra bientôt plus l'être ». Il faut reconnaître que la décompensation est un réel casse-tête. Il est légitime, toutefois, d'exiger plus d'éclairage et moins de cafouillage. La «compensation», c'est tout un monde. Elle a ses règles, mais aussi sa géographie, ses forteresses. Elle a, semble-t-il, ses secrets, jalousement gardés, ses triomphes et ses enfers aussi.