Ni le complexe artisanal de la ville de Tiflet, ni la mosquée Hay Rachad, dont les travaux lancés et payés depuis des années, n'ont été construits, indique un rapport de la Cour régionale des Comptes de Rabat. Déclarée «ville sans bidonville», cette petite cité de 17,5 km2 pullule encore de bidonvilles dont le nombre est appelé à augmenter, compte tenu de la politique mise en œuvre par le conseil communal pour contenir le phénomène. La CRC a en effet révélé plusieurs lacunes sur la gestion de la commune urbaine, qui se sont traduites par le financement de projets inachevés ou fictifs et des pertes de plusieurs millions de Dirhams pour la ville. Selon le rapport, dont une copie est parvenue à Al Bayane, les travaux de construction du complexe artisanal de Tiflet ne sont pas encore achevés, bien qu'ils aient déjà coûté à la commune durant la période allant du 16 mars 1998 au 13 octobre 2010, 10.761.245,82 DH, soit presque le double de son coût initial. Au départ, le financement de ce projet a été assuré par un prêt du Fonds d'équipement communal (FEC) de 5.500.000,00 DH, lequel a été remboursé par la commune sur une période de 10 ans à un montant (principal et intérêts) de 9.202.679, 80 DH. Il s'agit d'un petit projet de 38 locaux commerciaux, de 3 salles d'exposition de produits d'artisanat et d'une terrasse. D'après la CRC, le retard dans la réalisation des travaux a provoqué une augmentation non maîtrisée du coût du projet et privé la collectivité du bénéfice financier, économique et social escompté. En tenant compte des recettes directes estimées à 240.000,00 DH par an par l'étude présentée par la commune au FEC et du délai d'achèvement des travaux, selon le CPS (cahier de prescription spéciale) du marché, les recettes perdues sont de l'ordre de 2.940.000,00 DH, ajoute la Cour, qui précise que ce manque à gagner ne tient pas compte du montant des pénalités de retard, qui n'ont pas été appliquées et des recettes potentielles qui seraient générées au titre des taxes et impôts locaux. Par mauvaise foi ou ignorance, des prestations ont été doublement payées comme c'est le cas des travaux d'étanchéité, de peinture ou d'électrification et de menuiserie. Pour justifier ce double paiement, la commune dresse des PV de disparition des fournitures sans aviser les autorités compétentes. Pire encore, aucun PV n'a été établi après la disparition de fournitures d'une valeur de 155.764, 00 DH. Le rapport révèle aussi que le montant du dépassement des quantités du béton armé prévues par le cahier des charges du marché s'élève à 1.497.140,00 DH soit un dépassement de 91 pc dudit prix et de 27,73 du montant global du marché. La CRC a relevé aussi que des travaux payés d'un montant de 217.400,00 DH sont fictifs et que le dossier d'apurement du terrain affecté au projet n'a pas été envoyé à l'administration compétente. Plusieurs défaillances ont été également relevées au niveau du projet d'aménagement de la commune, qui a renoncé à ses droits au profit de l'entreprise chargée de la réalisation du projet, en acceptant d'exécuter un arrêt de la chambre administrative de la Cour suprême qui la condamne à verser à l'entreprise un montant de 5.532.770,31 DH, selon la CRC. Evoquant le projet de construction de la mosquée Hay Rachad, la CRC a révélé l'existence à la place de cet édifice des poutres dans un état délabré. Et pourtant, le receveur communal a estimé à 882.574,00 DH et à 824.204,74 DH le montant des travaux réalisés dans le cadre de ce projet. A ce propos, la CRC est catégorique : il n'y a pas eu de construction effective de la mosquée mais plutôt de poutres verticales et horizontales en état altéré sans cloisons. Le rapport de la CRC dénonce par ailleurs le coût exagéré du marché concernant des projets d'aménagement et de renforcement des voies publiques, notant que rien que l'étude du marché a coûté à la commune la bagatelle de 1.968.000,00 DH pour un projet qui ne dépasse pas 30 km, soit 65.600,00 DH/ km, contre 20.000,00 DH/km, selon les normes en vigueur. Outre les défaillances constatées au niveau de la réception des missions en un lot, le rapport indique que l'étude a été réceptionnée en méconnaissance des normes et des conditions requises, notamment l'absence des études topographiques et géotechniques. Pire encore, ajoute le rapport, la commune a procédé au paiement des montants afférents à la préparation du chantier (50.000,00 DH) en l'absence du service fait. La CRC a relevé dans le même ordre d'idées des dysfonctionnements inhérents au non respect des prescriptions et normes techniques en vigueur relatives aux travaux d'aménagement de la voirie. Selon le rapport de la CRC, la commune a payé aussi des dépenses fictives de carburant par vignette de 300.000,00 DH, effectuées au début de l'année 2010 et de reliure de documents pour un montant de 39.000,00 DH en plus d'autres dépenses non justifiées relatives à la location d'engins, à l'acquisition de matériels électrique et d'éclairage public, de matériaux de construction et des besoins du bureau d'hygiène. Au chapitre de la gestion urbaine, la CRC a indiqué que le conseil communal a rejeté lors de sa session du 29 avril 2008 le projet du plan d'aménagement, sous prétexte que la version qui lui est soumise est différente de la copie approuvée par la commission technique locale. Pour la CRC, ce rejet injustifié est plutôt décidé parce que la route de contournement reliant l'autoroute au quartier industriel traverse des terrains appartenant au président de la commune. Le rapport affirme par ailleurs que la commune de Tiflet réalise des opérations de restructuration en violation des lois de l'urbanisme et des lotissements. Selon le rapport, les opérations de restructuration réalisées par la commune sont en réalité des opérations de lotissement en infraction des dispositions de la loi 12-90 et la loi 25-90, menées dans le but de permettre aux propriétaires de bénéficier illégalement de cette action. D'autres infractions ont été relevées par le rapport de la CRC, qui rappelle que Tiflet a été déclarée «ville sans bidonville» alors que le programme de lutte contre les bidonvilles n'a concerné qu'une partie des baraques (338 logis) nettement inférieure de celles touchées par la restructuration (405 logis). Autres irrégularités : la commune a permis en violation des lois en vigueur à l'ex-président de la commune de bénéficier de surfaces importantes et de lots additionnels par l'application des chutes faibles. Elle a également permis à de grands propriétaires de lotir leurs terrains sans le paiement des taxes et droits y afférents et des dépenses relatives à l'équipement ainsi que de lots supplémentaires au détriment des petits propriétaires et des bidonvilles. La commune a délivré illégalement des certificats administratifs dont le nombre a atteint 15.422 entre 2001 et 2009 pour les lotissements étatiques Assaada et Hay Al Jadid, les lotissements Al Nabawiya, Loulou et Monaliza, le quartier administratif et les autres terrains entrant dans le périmètre urbain. En matière d'assainissement solide, la commune ne joue pas pleinement son rôle, ce qui a conduit à la prolifération des points noirs, selon la CRC, qui fait état du non respect par la commune de ses obligations en matière d'assainissement liquide. Le délégataire de ce service public, l'Office national de l'eau potable (ONEP) ne respecte pas non plus ses engagements contractuels, indique le rapport. Quant à la gestion de l'abattoir municipal, elle a été déléguée à une personne physique en infraction de la loi relative à la gestion déléguée des services publics, indique le rapport, qui relève que l'état de l'abattoir est déplorable et qu'il menace la santé des consommateurs. Située à une dizaine de km à l'est de Rabat, la commune urbaine de Tiflet a été créée en 1992. Elle représente le second centre urbain de la province de Khémisset. Elle s'étend sur une superficie de 17,5 km2. Son économie se base sur les activités commerciales liées au secteur agricole, du fait que la zone dispose de terres fertiles qui s'étendent sur 4.000 hectares. Elle est administrée par un conseil communal de 31 membres, assistés par un effectif de 356 fonctionnaires et agents.