Abdelouahab Atta (33 ans) est un jeune scientifique marocain, qui avait débarqué, il y a huit ans en Espagne dans le but de préparer un doctorat d'Etat et retourner au Maroc. Pour des circonstances particulières, il a été attrapé dans les méandres des universités de Madrid, des bureaux de recrutement en quête d'un emploi digne et dans les réseaux sociaux. Licencié en chimie organique de l´Université Mohamed 1er d'Oujda (2002), il préfère fortifier ses connaissances, varier les sources de sa formation et participer activement à la vie associative. Il vient de décrocher le diplôme d'Expert de l'Immigration et de la Coopération (Université Rey Juan Carlos, Madrid) et compte une infinité de diplômes d'assistance aux journées monographiques sur l'immigration et la participation sociale. Il est aussi éducateur, professeur de mathématiques et interprète. Il se déclare aussi un fervent militant pour les droits de l'homme, la défense des valeurs et de la diversité culturelle des peuples, et, l'égalité des chances de tous les citoyens dans une société démocratique. Ses idées sont d'ailleurs calquées sur des articles de presse, colloques et séminaires. Al Bayane l'a conduit à son Divan alors qu'il venait de participer à une table ronde, dans la banlieue de Madrid, sur le multiculturalisme et la réalité sociale au Maroc. AL Bayane: Que représente pour vous l'ambiance spirituelle et sociologique que procure le mois sacré du Ramadan ? A Atta Le mois du ramadan est de très haute signification pour l'ensemble de la communauté musulmane, parce qu'il est synonyme de sacrifice, de fraternité et de spiritualité. Ce qui est certain, en dépit des dures conjectures que traverse le monde, le musulman fait de son mieux pour donner l'image de sérénité aussi bien au plan social que spirituel. Il est aussi considéré comme mois de purification de l'esprit et de solidarité entre différentes communautés nonobstant l'ethnie, la race ou la confession à laquelle elles appartiennent. C'est l'impression que j'ai du ramadan en tant que marocain, berbère (amazigh) et musulman qui réside à Madrid. Les conditions de vie sont bien entendu totalement différentes de celles du Maroc en général, et de ma ville natale (Al Hociema) en particulier. En Espagne, la communauté musulmane qui constitue une grande minorité (de plus de 1,5 millions personnes) à très forte majorité marocaine, vit dans un environnement empreint de spiritualité et de recueillement. Les rencontres se multiplient entre les familles dans les espaces privés. Les lieux de culte (mosquées, centres culturels, oratoires) se convertissent à la fois d'espaces de rencontres entre les différents collectifs de musulmans. En deux mots, le mois du ramadan à Madrid représente pour la communauté musulmane un grand élan de solidarité mais aussi un bon intervalle de réflexion spirituelle. Comment vous organisez vos journées durant ce mois ? Les soirées ramadanesques sont propices aux rencontres de tous genres. Avez – vous le souvenir de quelque chose qui vous a marquée durant l'une d'entre elles ? Durant le mois du ramadan, le rythme de la vie change totalement. Personnellement, je n´adopte pas de programme spécifique pour ce mois puisque ma journée commence, tôt dans la matinée avec la réalisation de mes habituelles activités professionnelles, naviguer dans les sites web pour m´informer de l'actualité, des mouvements de protestation et de révoltes que connaissent le Moyen Orient y le Maghreb, principalement de la situation au Maroc où la jeunesse bouge et certaines villes sont secouées par des manifestations grandioses des jeunes et des travailleurs qui réclament un véritable changement des mentalités et l'amélioration des conditions de vie des couches sociales les plus défavorisées. Le mois du ramadan c´est aussi une occasion pour des rencontres entre compatriotes et participer à des activités culturelles nocturnes. Ce que je retiens de ce mois sont les questions de mes amis et voisins et voisins espagnols qui pensent que les musulmans font un ramadan non stop durant les 24 heure sans rien absorber durant les 30 jours du mois de jeûne. Etes-vous de ceux qui laissent apparaître des sautes d'humeur durant ce mois sacré ? Pourquoi ? Non, parce que je considère ce mois comme une période de quiétude, de rencontre avec la foi, et non de crispation et de scènes de colère avec les autres. Comme l'Espagne se déclare un Etat laïc, personne ne s'immisce dans la vie spirituelle des autres. D'autant plus, à la différence des lieux publics dans villes et marchés au Maroc, il est rare de voir à Madrid des altercations, algarades ou vives discussions sur la voie publique. Se mettre en colère dans les pays occidentaux à cause de la soif ou de la faim serait un comportement absurde, incorrect et grossier. Cette année, le mois du Ramadan intervient durant le mois d'août. Cela a-t-il perturbé votre programme de vacances ? Absolument pas. Eu égard aux obligations professionnelles, les difficultés du marché du travail en Espagne, et, comme interprète et éducateur free lance, les vacances seront les bienvenues quel que soit le mois de l'année. Quelle appréciation portez-vous sur la programmation TV sur les chaînes nationales ? Etes-vous d'accord avec ceux qui estiment que le niveau esthétique et professionnel des sitcoms pêche par son indigence pour ne pas dire sa médiocrité? A qui incombe la responsabilité de cette situation ? Je n´ai aucune appréciation à faire des programmes des chaînes marocaines. Toutefois, je considère qu'ils sont des produits inacceptables et sans contenu culturel. C´est la raison pour laquelle la majorité de nos compatriotes préfèrent voir des chaînes étrangères (espagnoles au Nord du Maroc, arabes, égyptiennes, françaises ou turques dans le reste du pays). En Espagne, la multitude de chaînes et Télévisions Numériques Terrestres (TNT) offrent des programmations variées embrassant l'ensemble des thèmes alors que les chaînes marocaines sont presque ignorées par le collectif marocain, précisément pour la banalité des contenus. Personnellement, je considère que voir la télévision marocaine est une perte du temps, rien de plus. Je rejette totalement des programmes saisonniers, ou ce que l'on désigne par «Sitcoms ramadaniens» qui, malheureusement au XXI siècle, nous rendent visite chaque mois sacré de l'année comme la Chabbakia. Les responsables ? Sans nul doute, l´administration marocaine, spécialement les ministres des finances, de la culture et de l'éducation, et, bien entendu de la Haute Autorité de l'Audiovisuel. En fin de compte, la responsabilité incombe à tous les responsables des politiques appliquées pour que la société demeure en marge du développement et soit immergée dans l'ignorance et la naïveté. Quelles sont vos lectures préférées durant ce mois sacré ? En matière de lecture, je n'ai pas de préférences déterminées. Je lis sans discrimination tout ce qui me tombe sous la main. Toutefois, j'ai un penchant pour les livres d'historiques et essais sociopolitiques. A ce propos, je viens de terminer de lire un ouvrage très intéressant d'Yves Lacoste, traduit à l'espagnol, « Ibn Khaldoun : Naissance de l'Histoire, passé du tiers monde ». Qu'est-ce qui a changé dans la société marocaine ? Les mécanismes de sociabilité qui ont permis de perpétuer les fondamentaux de la personnalité marocaine fonctionnent-ils toujours ? Nous ne pouvons parler d´un changement très important au niveau des mentalités. Je pense que les mécanismes de sociabilité qui ont permis de perpétuer les fondamentaux de la personnalité marocaine ne fonctionnent pas toujours de la même manière. En toute franchise, la société marocaine n'a pas encore eu l'occasion de vivre un véritable changement.