Les forces de sécurité quadrillent la ville Des ONG font état de dérapages. Des pertes en poissons estimées à 5 millions de DH. Sidi Ifni est toujours sous haute tension. «Depuis l'intervention musclée des forces de l'ordre le week-end dernier, un calme fragile règne sur la ville. Et tant qu'ils sont là, la tension va persister», selon une source associative installée dans la petite ville portuaire. Elle a souhaité garder l'anonymat de peur de représailles. Tout a commencé lorsque les diplômés chômeurs de la ville ont organisé un sit-in, depuis le 30 mai. «Une manifestation spontanée s'est déclenchée après l'annonce des résultats du tirage au sort des huit jeunes diplômés chômeurs qui occuperont des emplois à la municipalité», précise notre source. Les protestataires se sont rassemblés devant le port. Un complexe construit vers la fin des années soixante dix et qui représente l'essentiel de l'activité économique de la région (voir encadré). Cette ville qui compte près de 20.000 habitants a «été samedi dernier quadrillée par 8.000 agents. Parmi eux, ceux des Compagnie mobile d'intervention (CIM)», indique Abdellah Bridha Abdellah, président de la section de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) à Tiznit. Il s'est personnellement déplacé sur les lieux des événements en vue de recueillir des témoignages. Les forces d'intervention, venues en renfort, «ont installé leurs campements dans la caserne de Colombina et du lycée Moulay Abdellah», souligne le représentant de l'AMDH. Bridha aurait reçu des menaces par téléphone. «on m'a signifié clairement de ne pas parler aux journalistes», dit-il. Toujours est-il que les forces de sécurité se sont déployées sur trois zones: Colombina, Boulaâlam et le port. «Ils ont pu accéder à l'enceinte portuaire par la mer, à bord de zodiacs. Les manifestants ont été pris en étau», affirme notre source. La situation devenait insoutenable: «Le blocage du port par les manifestants a paralysé toute activité. Entre 600 et 700 tonnes de poissons ont été perdues», d'après les témoignages de certains membres de la Chambre maritime des pêches d'Agadir. Son directeur, Abdelfatah Zine, évalue les pertes à 5 millions de DH. Pendant une semaine, près d'une «soixantaine de camions-frigos ont été bloqués au port», selon les déclarations d'armateurs. Ils transportent le poisson pêché à partir des côtes de Dakhla, Tan Tan ou Sidi Ifni vers Agadir, Essaouira et Safi. Lahcen Achengueli, membre de la Chambre des conseillers sous la bannière du Rassemblement national des indépendants, estime que «l'intervention des sécuritaires a été fondée. Mais reconnaît tout de même que le port n'a jamais été fonctionnel. Car il souffre d'ensablement. Ce qui rend son accès difficile pour les pêcheurs». Notre interlocuteur est actuellement membre de la Chambre de commerce et d'industrie. Une institution qu'il a aussi présidée pendant 25 ans. Quant à la Chambre maritime et des pêches d'Agadir, elle n'a pas hésité à tenir jeudi dernier une assemblée pour dénoncer «le laxisme des autorités». Son directeur parle de «situation anormale». En guise de protestation, le PV de l'assemblée a été carrément transmis aux autorités. Abdeltif Ouaâmou, élu de Tiznit et chef du groupe du Parti du progrès et du socialisme (PPS), à la Chambre des conseillers, estime pour sa part que «le droit de manifester est légitime. Mais prendre le port en otage est un acte dangereux. Cette situation a mis les représentants de l'Etat devant leurs responsabilités». Le gouvernement sera-t-il saisi sur cette affaire? «S'il y a eu des dérapages sécuritaires dans sa gestion, on le fera», rétorque le conseiller. Il dément l'existence de quelconques décès. «Je me suis déplacé à l'hôpital Hassan Ier où j'ai constaté qu'il y avait seulement quelques blessés», rapporte-t-il. Le médecin-chef de l'hôpital provincial de Sidi Ifni, Mohamed Chafiq, confirme également «une vingtaine de blessés civils et 34 agents de sécurité qui ont été soignés dimanche dernier. Lorsqu'on sonde certains acteurs associatifs, les déclarations se radicalisent. Ils évoquent plusieurs cas de blessés graves, tortures... Le président de la section de l'AMDH à Tiznit aurait enregistré plusieurs témoignages. Dérapages D'après des acteurs associatifs opérant à Sidi Ifni, plusieurs dérapages ont été constatés: «coup et blessures, vols, destructions de biens, harcèlements sexuels et viols». Ahmed Zahid, président de la section du Parti socialiste unifié à Sidi Ifni a été arrêté et battu. «Son camarade, Ahmed Merrakchi, un correspondant étranger et deux journaliste d'Al Massae, ont eu droit au même traitement», témoigne une source. Le plus grave, ce sont les agressions sexuelles qu'auraient subies certaines femmes: «Plusieurs témoignages de victimes ont été recueillis. Trois au quartier de Boulâam et deux à Colombina», selon la section de l'AMDH à Tiznit. Certains agents auraient aussi «fait preuve de vandalisme». Par mesure de sécurité, des parents ont envoyé leurs enfants vers d'autres villes. «Peu d'élèves se sont rendus aux examens de la 1re année du baccalauréat», selon des témoignages. «Poisson et fric» A côté du port, deux zones industrielles (ZI) existent à Sidi Ifni mais elles sont inactives. «Les terrains ont été vendus à 1,5 DH/ m2. On pensait que des usines de transformation de poisson allaient s'installer mais ce ne fut pas le cas…», témoigne une source. Lahcen Achengueli, conseiller et membre de la Chambre de commerce et d'industrie d'Agadir, considère que «si les diplômés chômeurs se sont regroupés devant le port, c'est parce qu'il est le principal centre d'activité». Il se substitue en quelque sorte au Parlement. Les habitants de Sidi Ifni ont eu le sentiment d'êtres spoliés: «Le poisson nous appartient mais pas son fric», résume un militant.