Le plan Maroc Vert nécessite un investissement public colossal sur dix ans. Mais aussi, un accompagnement bancaire et une exécution forte. Décidément, Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture, a l'art et la manière pour passer des messages forts en présence du roi. La présence du souverain lors de l'ouverture du Salon de l'agriculture de Meknès n'a pas été anodine. Le secteur de l'agriculture fait partie des priorités royales. Et Akhannouch ne pouvait rater l'occasion de mettre les points sur les i. Autant dire qu'il l'a fait avec finesse. Exemple : le ministre a usé d'images fortes pour matraquer une réalité hautement stratégique. Sa stratégie intégrée, il l'a comparée à la partie émergée de l'iceberg. Le reste enfoui sous l'eau, le morceau tentaculaire représente l'exécution du Plan Maroc Vert. En clair, «tout l'enjeu de cette stratégie réside dans son exécution». Cela est d'autant plus décisif que le secteur croule sous des problèmes cumulés depuis l'Indépendance. Les blocages ne manquent pas et Akhannouch a pris soin de les rappeler amèrement dans la première phase de sa présentation. Ainsi, on retiendra que 71% de la surface agricole sont composés de terrains de moins de 5 hectares et que les céréales dominent les cultures avec un rendement très faible (2.000 dirhams par ha). Cette situation implique une fragilité du tissu des acteurs agricoles qui subissent les aléas de la branche. Résultat : le poids de l'agriculture agit souvent négativement, et dans la durée, sur la croissance, la balance commerciale et le développement du monde rural. La partie n'est pas perdue pour autant. La stratégie Maroc Vert insiste sur le potentiel de la filière qui peut à terme drainer des dizaines de milliards de dirhams de valeur ajoutée. Pour appuyer cette idée, Akhannouch use de comparaison en soulignant avec force que le développement de l'agriculture représente deux fois les apports de la stratégie Emergence. Pour y arriver, il demande 50 milliards de dirhams aux caisses de Salah Eddine Mezouar sur 10 ans, en plus de la contribution du Fonds Hassan II et d'un effort de démarchage financier à l'international. «Déclinée ainsi, la stratégie agricole mérite notre soutien et nous trouverons l'argent qu'il faut», commente un Salah Eddine Mezouar, ministre des Finances, fortement sollicité par les invités de Akhannouch. En plus de cet engagement financier public, le secteur fait appel à un rythme d'investissement de plus de 10 milliards de dirhams par an autour d'une offre Maroc ciblée. Traduction : on ne met pas un sou dans des cultures qui rapportent peu, notamment les céréales. Le message a séduit les banquiers en place, notamment Mohammed Benchaâboun, président-directeur général du groupe Banques Populaires, qui s'est dit «en train de réfléchir à mettre la main à la poche en créant, par exemple, un fonds ou une ligne dédiée à l'agriculture». Quant à Tarik Sijilmassi, patron de la banque verte marocaine et complice d'Akhannouch dans cette stratégie, il est en pôle position pour soutenir le développement agricole. Les piliers du plan Akhannouch La stratégie de Aziz Akhannouch repose sur deux piliers. L'un dédié à l'inverstissement pur et dur et l'autre se focalisant sur l'agriculture sociale. Se voulant fédérateur, Aziz Akhannouch cherche à apaiser les esprits, surtout ceux de la campagne pauvre. Ainsi, la stratégie reconnaît une place au petit agriculteur et lui consacre une bonne partie des mesures de relance. Au centre de cette reconnaissance, trône la mise à niveau «solidaire». Le ministre fait appel à la contribution de tous, internationaux compris, à 1'image de l'INDH, pour financer la mue de la culture vivrière. Globalement, cela concerne une moyenne ce 300 a 400 projets sociaux qui peuvent se décliner en reconversion vers des cultures plus rentables, en intensification pour les agriculteurs qui sont déjà bien positionnés ou encore en diversification pour d'autres. Cela nécessite 15 à 20 milliards de dirhams sur 10 ans en investissement pour financer entre autres la formation et l'accompagnement. Le deuxième pilier concerne les exploitation du moyen et haut de gamme. Il s'agit du développement d'une agriculture moderne à travers des investissements adéquats et un accompagnement institutionnel pertinent. En gros, ce sont des conventions à signer avec des investisseurs et agriculteurs pour le développement de 1.000 à 1.500 projets agricoles à forte valeur ajoutée. Le ministre veut du concret palpable et quantifiable à travers une démarche transactionnelle qui lui permet de suivre l'évolution des investissements et des choix de positionnement agricole. Zoom : les points clés de la réforme La réforme institutionnelle Akhannouch est loin d'être naïf, il sait que le ministère de l'Agriculture et ses ramifications ne peuvent mener à bien la réforme. Du coup, le Plan Maroc Vert repose sur deux éléments essentiels. D'abord la création d'une agence nationale pour piloter l'exécution de la stratégie et suivre son évolution. Il est vrai que la stratégie intégrée de l'agriculture appelle à la réforme institutionnelle basée sur la re-focalisation des missions du ministère et de ses dépendances (office, Sigma, direction déconcentrée ou décentralisée...). Mais il est tout aussi clair que la stratégie ne peut attendre une autre dizaine d'années pour pouvoir compter sur l'efficacité de son tuteur politique et administratif. Il devient ainsi évident que l'agence qui ne tardera pas à voir le jour prendra le train de la réforme et le mènera loin de toute surenchère politique. Les cibles identifiées et décentralisées Maroc Vert a cela de particulier d'avoir d'abord balisé le terrain des filières à doper. Ainsi, Akhannouch promet la réalsationde l6 plans régionaux et 8 contrats programmes, dont les premiers (aviculture, agrumes, engrais) ont été signés en présence du roi, juste après la présentation de la stratégie agricole. Pour le développement d'une agriculture à forte valeur ajoutée, Akhannouch cible 400.000 exploitations avec un investissement potentiel de 110 à 150 milliards de dirhams pour la réalisation de 700 à 900 projets. Pour le palier deux, dédié à la mise à niveau solidaire, il est question de cibler 600 à 800.000 exploitations avec un investissement cumulé de 15 à 20 milliards de dirhams. Le foncier à libérer : 700.000 hectares L'agriculture a besoin de terres. L'Etat doit en libérer rapidement. C'est ce que dit la stratégie dont l'exécution doit être lancée dans les 10 mois à venir, le temps de soumettre à l'approbation les lois et règlements nécessaires. Dans ce sillage, il faut noter qu'une réforme du régime du foncier suivra avec une ouverture du foncier de l'Etat à la gérance privée. Plus de 700.000 hectares disponibles doivent être mis à la disposition des investisseurs. Terres habous, terres collectives, des domaines, tout y passera. L'eau : privatiser la gestion Comme nous l'annoncions lundi dernier, la stratégie table sur le développement de la gestion déléguée de l'eau, notamment l'irrigation, la collecte, traitement et éventuellement la mise en place des ouvrages nécessaires. Cette nouvelle politique déjà abordée lors du congrès d'Agadir il y a quelques années, permettra une tarification ciblée et une distribution qui correspond aux besoins réels. Nareva, l'une des filiales de l'ONA, est déjà positionnée sur ce marché à fort potentiel. D'ailleurs, la présence de Moâtassim Belghazi, le nouveau Pdg de l'ONA est un signe précurseur.