L'offensive israélienne fait 70 morts palestiniens à Gaza. Et un mot malheureux enflamme les passions: "shoah". C'est Matan Vinaï, vice-ministre israélien de la défense, qui l'a employé pour menacer les Palestiniens de Gaza s'ils ne mettent pas fin aux tirs de roquettes sur la ville israélienne d'Ashkélon: "Plus les tirs de roquettes Qassam s'intensifieront, plus les roquettes augmenteront de portée, plus la shoah à laquelle il s'exposeront sera importante, parce que nous emploierons toute notre puissance pour nous défendre." Certes, comme l'a aussitôt précisé un porte parole israélien, le mot "shoah" en hébreu signifie littéralement "catastrophe". Mais si un ministre israélien ne connait pas la charge émotionnelle de ce mot, employé pour désigner l'holocauste des juifs pendant la deuxième guerre mondiale, ce serait surprenant. Un dérapage verbal qui risque de coûter cher à Israël. Résultat: aussi bien le chef du Hamas en exil, Khaled Meshal, que le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, ont accusé Israël de déclencher un "holocauste" contre les Palestiniens. L'excès de langage d'un ministre israélien aura réussi à provoquer une escalade verbale incontrôlée et faisant perdre leur sens aux mots, qui en ferait presque oublier l'escalade, bien réelle et bien mortelle, sur le terrain des opérations. L'ampleur des représailles israéliennes et le nombre des victimes -dimanche matin, on parlait de 70 morts depuis samedi-, sans équivalent depuis que le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza l'an dernier, sonne vraisemblablement le glas du moindre espoir d'aboutir à un accord de paix israélo-palestinien avant la fin de l'année, comme le souhaitaient les participants à la Conférence d'Annapolis, aux Etats-Unis, à la fin de 2007, et comme l'avait répété George Bush lors de sa tournée au Proche-Orient, en janvier. Ces derniers jours, les propos les plus pessimistes sur ce calendrier commençaient déjà à filtrer. Dimanche, le président Mahmoud Abbas a suspendu toute négociation avec Israël. Ce processus était de toutes les manièrs mort-né à partir du moment où il excluait la bande de Gaza, dans laquelle l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas n'a pas… d'autorité. Elle en a en effet été chassée l'an dernier par les islamistes du Hamas, dont la principale force est un pouvoir de nuisance considérable. En orchestrant l'ouverture de la frontière avec l'Egypte en janvier, et en poursuivant ses tirs de roquettes sur les villes israéliennes à partir de la bande de Gaza, le Hamas reste un acteur incontournable, qui empêche l'Autorité palestinienne de Ramallah de faire ce qu'elle veut. Aujourd'hui encore, le Hamas peut dénoncer Mahmoud Abbas comme un "collabo" alors que les Palestiniens meurent par dizaines sous les balles israéliennes. Khaled Mechaal, exilé à Damas, a ainsi affirmé: "Le président palestinien est en train de couvrir l'Holocauste de Gaza, volontairement ou involontairement." Dans cette situation, le choix d'Israël est paradoxal. Car il est peu probable que l'Etat hébreu ait l'ambition de régler militairement une situation comme celle de ces lanceurs de roquettes noyés dans la masse des camps de réfugiés comme Jabalyia, dans la bande de Gaza. Et cette radicalisation éloigne encore un peu plus toute solution politique. Résultat: plus de morts, plus de haines accumulées, et des mots comme "shoah" et "holocauste" qui se banalisent dans le vocabulaire guerrier d'une région qui n'en avait pas besoin. Et, comme d'habitude, une communauté internationale qui compte les morts mais est totalement impuissante, paralysée par l'argument israélien de la légitime défense, décrédibilisée par sa passivité permanente dans cette partie du monde. Bref, un samedi noir pour le Proche-Orient et pour le monde. ► Mis à jour le 02/03/2008 à 10h45: le nombre de morts depuis samedi est estimé à 70 et l'Autorité palestinienne a suspendu les négociations de paix avec Israël.