Chandeliers posés sur des fûts dans un palais traditionnel, dégustation des meilleurs crus 2007, musique et amuse-gueule, le Maroc a renoué cette année avec la "fête des vignes" dans la ville impériale de Meknès, dont le maire et le député sont islamistes. "La fête du vin était célébrée ici chaque année dans le passé et et j'ai suggéré de la reprendre pour mettre en valeur le génie de cette région, ses produits et son histoire", explique le consul général de France à Fès et Meknès Bertrand Avezzari. Ces festivités qui duraient plusieurs jours se sont arrêtées il y a un demi siècle à la fin des années 1950 après l'indépendance du pays mais surtout la décision de la Communauté économique européenne (CEE) d'interdire les vins de coupage. "A l'époque, le Royaume produisait plus de deux millions d'hectolitres qui étaient envoyés de l'autre côté de la Méditerranée pour apporter aux vins français des degrés et de la couleur. Brusquement tout s'arrêta et ce fut une catastrophe", explique Mehdi Bouchaara, directeur général adjoint des Celliers de Meknès, la plus importante entreprise du secteur. Il a fallu attendre la fin des années 1980 pour assister à une renaissance du vin. Aujourd'hui, le Maroc possède 12.000 ha de vignobles produisant 400.000 hectolitres soit 33 millions de bouteilles, dont les trois quarts sont du rouge, 20% de rosé et de gris et le reste du blanc. Le chiffre d'affaires de cette industrie se monte à 1 milliard de dirhams (88 millions d'euros) et elle emploie environ 10.000 personnes. Les taxes sur les vins et spiritueux rapportent annuellement à l'Etat 20 millions d'euros. "La production a doublé en 15 ans mais ce sont surtout les vins de qualité supérieure et de haut de gamme qui font de la croissance", assure M. Bouchaara. Selon lui, la bonification a pris du temps car il y a vingt ans 70% de la production étaient du vin ordinaire alors qu'aujourd'hui "on frôle les 50% pour les vins de qualité". Si les Celliers du Maroc misent sur la consommation intérieure avec 24 millions de bouteilles vendues annuellement dans le royaume pour deux millions seulement exportées, leur principal concurrent, le groupe français Castel, installé depuis 1994 et qui produit annuellement 100.000 hectolitres a une stratégie inverse. Il exporte en vrac 80% de sa production et ne vend au Maroc que 2,7 millions de bouteilles. Des quatre régions viticoles du Royaume, celle de Meknes-Tafilalet, représente 70% de la production. "Cela mérité d'être fêté et nous pensons d'ailleurs créer un circuit des caves pour les amateurs comme cela se fait en Europe", assure Moustapha Meskini, président du Conseil régional du tourisme. Recevant diplomates, personnalités du monde économique et du tourisme, au rythme d'une fanfare locale, M. Bouchaara tient à préciser à ses hôtes. "Attention, c'est la fête de la vigne et pas celle du vin". "Hypocrisie", affirme en aparté un médecin marocain car sur les tables nulle grappe de raisin et les invités un verre à la main comparent certains vins au nectar des dieux de l'Olympe. Car si Meknès est la capitale du vin c'est aussi le fief des islamistes du Parti Justice et développement qui a obtenu 42 députés aux dernières élections. D'ailleurs leur journal titre Attajdid ne s'est pas privé de fustiger cette "fête des vins de Meknès le jour de la fête des musulmans". "Ce qui suscite encore plus l'étonnement et condamnation, c'est qu'on a choisi d'organiser cette manifestation un vendredi", écrit ce journal. "Les autorités touristiques, non seulement encouragent une industrie catégoriquement bannie par l'islam, mais encore lui organisent des campagnes de pub", ajoute le quotidien pour qui le vin d'"oum al khabaïth" (la pire des dépravations).