Les autorités libyennes imposent aux étrangers de disposer de passeports traduits en arabe. Une décision qui s'inscrit aux représailles à l'encontre des pays européens comme la France et la Grande-Bretagne. L'information est tombée sur les fils des agences comme un gigantesque fait divers aux allures surréalistes. La Jamahiriya libyenne de Mouammar Kadhafi a empêché les passagers d'un avion d'Air Méditerranée en provenance de Paris avec ses 172 passagers ainsi que 37 passagers d'un vol de la compagnie helvétique Swiss d'entrer sur son territoire et les a obligés à rebrousser chemin immédiatement sous prétexte qu'ils ne disposent pas de passeports traduits en arabe. Les autorités libyennes avaient tenté d'empêcher un autre groupe d'Européens de quitter la Libye pour le même prétexte donnant lieu à un imbroglio aéroportuaire d'une rare originalité. Pour justifier une telle attitude, les autorités libyennes, tout en conservant le confortable anonymat, avancent l'argument de la remise soudaine en application d'une vieille législation qui exige que tout citoyen qui désire fouler le sol de la Jamahiriya heureuse doit obligatoirement disposer d'un passeport ou autre document de voyage traduit en arabe. Et d'assurer que cette décision avait été transmise aux compagnies aériennes qui desservent la Libye. Toujours dans l'ombre protectrice de l'anonymat, d'autres sources libyennes présentent cette décision comme faisant partie d'une politique de représailles à l'encontre de pays européens comme la France et la Grande-Bretagne qui refusent l'accès à leur territoire aux ressortissants libyens même munis d'un visa Schengen. Même si après de nombreuses négociations et interventions les passagers français présents à l'aéroport de Sebha ont été, «à titre exceptionnel», autorisés à quitter la Libye, cette soudaine crise libyenne ouvre la porte à de nombreuses interrogations et remet en mémoire l'image d'une Libye aux comportements folkloriques et la diplomatie d'humeur instable qui avaient si longtemps caractérisé la pratique du pouvoir à Tripoli. Non seulement cette affaire remet symboliquement en question tous les efforts investis par la Jamahiriya libyenne pour s'ouvrir sur le monde et tenter de normaliser ses relations avec la communauté internationale, mais elle pose de manière crue la question des véritables détenteurs du pouvoir au sein de l'appareil de l'Etat libyen. Aussi minime, aussi anecdotique soit-elle, cette affaire a poussé de nombreux observateurs, spécialistes de cette région, à s'interroger sur les capacités réelles de la Libye à s'ouvrir sur le monde sans grincement de dents, sans dommages collatéraux domestiques. L'hypothèse la plus en vogue est que cette mini-crise aéroportuaire est révélatrice d'une sourde bataille au sommet de l'Etat libyen entre ceux qui voient dans l'ouverture inconditionnelle vers le monde le seul chemin de survie d'un régime longtemps considéré comme un paria et ceux qui appréhendent cette ouverture comme un danger mortel pour leurs acquis et leurs pouvoirs. La visite que s'apprête à effectuer le président Mouammar Kadhafi à Paris le mois prochain sera certainement l'occasion pour la France, au nom de l'Europe, d'interroger le leadership libyen sur sa véritable capacité à mûrir et à abandonner des pratiques de pouvoir d'un autre âge. A l'issue du Conseil des ministres franco-allemand qui s'est tenu à Berlin, le président Nicolas Sarkozy n'a pas échappé à la question de préciser l'utilité de recevoir en grande pompe le Rais de la Jamahiriya libyenne. Le président français y est allé de son couplet bien rodé sur la prime accordée à d'anciens «Rogue state» ou régimes voyous qui ont choisi la voie de la pénitence et du remords : «Je recevrai le colonel Kadhafi. Je ne vois pas une raison de ne pas recevoir Kadhafi (…) Si on ne le reçoit pas, si on ne parle pas avec des pays qui se respectabilisent, alors qu'est-ce qu'on dira à l'Iran et la Corée du Nord». Il faut dire que ce brusque regain de chaleur entre Paris et Tripoli énerve profondément les autorités allemandes qui reprochent à Nicolas Sarkozy d'avoir, en pleine négociation de la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien, promis la livraison d'une centrale nucléaire au régime libyen. A cette époque, Nicolas Sarkozy avait sorti le grand jeu de la justification : «si on ose dire que le nucléaire civil est réservé à la rive nord de la Méditerranée et que le monde arabe n'est pas assez responsable pour le nucléaire civil, on l'humilie et on se prépare à la guerre des civilisations».